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Portrait d’éditeur : Autrement dit 

Depuis plus de dix ans, l’éditeur Jean Lieffrig anime le paysage du livre audio français… en Belgique, en publiant des auteurs comme Gracq, Stendhal, ou Pierre Jourde.  Rencontre. 

Jean Lieffrig, Autrement dit

Ancien professeur de lettres à l’université à Barcelone devenu éditeur en Belgique, Jean Lieffrig a toujours eu la passion du texte lu. Mais pour lui, jusqu’en 1999, date de la création de sa maison d’édition, Autrement dit, les livres s’écoutaient surtout à la radio. « Je me souviens des dramatiques magnifiques lues à la radio nationale belge ; je me souviens aussi d’une voix extraordinaire lisant du Proust ; ou encore d’une belle lecture du Miroir qui revient, d’Alain Robbe-Grillet ». Il faut croire que d’auditeur à éditeur, il n’y a qu’un pas… Que Jean Lieffrig a sauté allègrement. Et il n’a pas oublié ses coups de coeur audio de sa jeunesse, puisqu’il est allé jusqu’à recruter  sa « voix » préférée ! « Il lisait du Yourcenar à la radio,sa voix me touchait beaucoup ; je suis donc allé voir Marcel Dossogne pour lui proposer de lire La femme et le pantin, de Pierre Louys« . Voilà comment il s’est lancé dans l’aventure…Par coups de coeur successifs.

Sa maison d’édition est sise à Mons, en Belgique. Mais n’allez pas lui dire qu’il est un éditeur belge !  Jean Lieffrig tient, tout à fait légitimement, à s’inscrire dans le paysage audio français. Il regrette d’être assimilé à un éditeur « belge », donc forcément un peu snobé par le milieu (réputé très parisianiste), alors qu’il publie Stendhal et Hugo ! « Je suis installé à Mons, c’est juste à côté de la France  ! Je considère qu’il n’y a pas de frontières dans la francophonie, voilà bien une vision parisienne ! Il y a une continuité dans la langue française. Mons ou Tournai, de ce point de vue, ce n’est pas différent de la France! » Il reconnaît tout de même être le seul éditeur en Belgique (francophone). Et de soupirer : « Nul n’est prophète en son pays… En Belgique il y un dédain total pour le livre audio. Il y a quelques aficionados, mais c’est tout ». Sans compter que son pays n’a toujours pas appliqué les lois européennes sur la TVA pour le livre audio, alors qu’en France, tout a changé en 2009. Normalement, selon la Commission européenne, la Belgique devrait elle aussi baisser son taux. Seulement, ces temps-ci, les Belges ont d’autres préoccupations, semble-t-il… Résultat, « chez nous, elle n’est même pas 19,6, mais à 21 % ! Le plus gros bénéficiaire du livre audio en Belgique, c’est la TVA ! »

Jean Lieffrig, cela dit, a connu pire : lorsqu’il a commencé l’aventure Autrement dit, au tout début des années 2000, « on devait se mettre à quatre pattes pour trouver des livres audio. Il se souvient, notamment à Liège, d’avoir demandé le rayon livres audio, et… : »On m’a posé une vieille caisse sur le comptoir, sur laquelle traînaient les manteaux des libraires et leurs GSM ». Tous ces obstacles n’ont pas empêché notre vaillant éditeur de poursuivre sa voie (ou sa voix !), et de publier un catalogue impressionnant : 160 titres en dix ans, soit une quinzaine de titres par an ! Le tout presque seul, puisqu’Autrement dit ne compte aucun salarié, pas même son président-fondateur, qui travaille « de 8 heures à 2 heures du matin ». 

En dix ans, Jean Lieffrig aura mis en sons de fort beaux textes. Il a même réussi l’exploit de publier un écrivain réputé particulièrement rétif à toutes sortes de choses : Julien Gracq. L’histoire est belle. L’auteur du Rivage des Syrtes, qui avait déjà refusé le Goncourt en 1951 pour affirmer son indépendance, refusait également toute exploitation audio de ses oeuvres. Tout juste avait-il accepté de lire des extraits de ses oeuvres pour les Editions des Femmes. Seulement, voilà : « Nous organisions des lectures-spectacle, et l’une d’entre elles eut lieu à l’Unesco. Gracq vint, et comme je savais que c’était un grand amateur de Nerval, je lui ai fait ensuite envoyer notre version de Sylvie, lue par Alain Carré. Julien Gracq l’a tant aimée qu’ensuite il adorait s’asseoir sur son fauteuil pour l’écouter attentivement. D’ailleurs, lorsqu’il recevait, il fallait s’asseoir à ses côtés et l’écouter avec lui ! C’est pourquoi il a accepté de nous céder ses droits audio… De notre côté, pour honorer sa mémoire, nous continuons de demander systématiquement à Alain Carré de lire ses oeuvres. »

Depuis, de grands auteurs comme Stendhal, René Char ou Apollinaire ont rejoint le catalogue d’Autrement dit. Chez les écrivains contemporains, on compte Henri Bauchau ou Pierre Jourde. Appâté par les oeuvres audio de Gracq, qu’il avait rencontré, Jourde est même venu au studio de Jean Lieffrig y enregistrer son Pays perdu. Cela donne un catalogue curieusement cohérent, très exigeant dans sa qualité, où un flot d’oeuvres se mélangent : des classiques (Stendhal) des auteurs surréalistes (Breton), et même un entretien d’Amélie Nothomb avec l’une de ses plus grandes spécialistes !  

Dernière précision : Jean Lieffrig ne veut pas être catalogué comme un éditeur belge, mais il l’avoue, il a été heureux de publier les récits de voyages  de Victor Hugo en Belgique. Notre Victor national passant en revue Mons, Charleroi et Bruxelles, quoi de plus éloquent pour symboliser le pont culturel, construit patiemment par Jean Lieffrig, qui relie nos deux pays ? 

 

Le site d’Autrement dit  


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