Entretien avec Jacques Frantz, lecteur de Limonov

Limonov, un roman d’Emmanuel Carrère lu par Jacques Frantz pour Gallimard, était présélectionné pour le Prix Lire dans le noir 2012. Avec son lecteur, nous revenons sur ce livre audio qui conte la vie de l’excentrique écrivain et dissident russe qui lui a donné son nom, dressant un portrait âpre de la Russie d’hier et d’aujourd’hui.

Qui est Limonov ?
Limonov est un personnage atypique et haut en couleur. Pour autant, je n’affirmerais pas qu’il est très sympathique. Emmanuel Carrère a dressé un tableau impressionnant de cette créature assez indéfinissable, qui a eu une vie diverse et très mouvementée. Au cours, de l’enregistrement, j’ai développé une sorte d’intimité avec Limonov. Si je le rencontre, je saurai quoi lui dire.

Il n’est d’ailleurs pas mort, puisqu’il est aujourd’hui en plein forme et qu’il est un des leaders de l’opposition russe.

Pourquoi faire une biographie de cet individu somme toute assez peu sympathique ?
Pour moi, Carrère a dû éprouver une fascination intense pour ce personnage hors-norme et extrêmement exigeant. Politiquement Limonov a eu une action déterminante notamment lors du putsch de Boris Eltsine . Le livre est un tableau de la Russie de notre époque au travers des yeux d’une personne cultivée, vivant à l’ouest et ayant un point du vue décalé sur les événements qui pouvaient se passer là bas.

Quand on y pense, ce livre décrit des personnages, un pays, une situation politique rarement relatés dans l’information. Carrère est allé là-bas pour tirer ses propres conclusions, son travail est très minutieux, très documenté, même si on peut deviner où vont ses idées.

Qu’est ce qui vous a le plus marqué dans Limonov ?
Je ne pensais pas que la Russie était aussi dure et violente. Toute la partie sur son enfance en Ukraine dans le froid, la misère, m’a beaucoup marqué. Le texte fait vivre de près cette situation, le lecteur ressent la précarité permanente.

J’ai été touché par les relations de Limonov avec les femmes. Ces histoires d’amour qui se terminent très très mal. Le côté stakhanoviste du personnage, obsédé par le surpoids, le corps humain, la gymnastique m’a aussi fasciné.

Enfin, j’ai été impressionné par le passage où il se retire en Sibérie. Il lutte dans la forêt, allant jusqu’à se nourrir de viande crue. Sa vie est très difficile.

Ces tranches de vie m’ont touché, mais, je ne souhaite pas en dire trop sur le livre pour ne pas ôter l’envie de le lire aux lecteurs.

Pourriez vous me parler du travail que vous avez effectué sur le livre ?
L’expérience de l’enregistrement était rarissime parce que c’est un livre extrêmement abondant, c’est une aventure que l’on vit rarement en littérature contemporaine.

Je n’ai pas ressenti le besoin de faire un travail préparatoire.  On dit toujours qu’un grand film ou un grand livre c’est un documentaire, c’est ici vraiment le cas.

L’enregistrement a duré dix jours. C’était un travail énorme que de lire ce texte immense in-extenso. Cela demande une concentration terrible, il faut savoir garder le cap, maintenir le ton, tout en se soumettant à ce que l’auteur a voulu dire.

La lecture est un travail de soumission et d’ambition puisqu’il ne faut pas trahir ce que l’auteur a voulu faire ressentir aux lecteurs. C’est un jeu avec l’inconnu qui recommence à chaque page d’autant plus que Carrère a une grande richesse stylistique, sa palette est très ouverte. Pour trouver le ton juste j’ai  beaucoup échangé avec Catherine Lagarde qui a réalisé le livre audio. Elle était là en permanence pour m’accompagner dans cet exercice et s’assurer de l’intégrité du texte. C’est un vrai travail de direction qui exige une symbiose entre le comédien et le producteur.

Qu’est qui vous attire dans la lecture à voix haute ?
Le texte lu est un moment privé, c’est l’alcôve. Le face à face avec l’auteur. C’est un moment de solitude habité par les fantasmes d’un autre, la mise entre parenthèses du monde, une expérience à la fois riche et exigeante.

Liste des livres audio lus par Jacques Frantz :

Détonations rapprochées  de C.J. Box chez Livraphone
L’homme à l’envers de Fred Vargas chez Livraphone
La mort au fond du canyon de C.J. Box chez Livraphone
Winterkill  de C.J. Box chez Livraphone
Le roi Arthur d’Emmanuelle Guillon chez Les mots magiques
Simplement compliqué de Thomas Bernhard aux Edition des femmes – Antoinette Fouque

> Fiche de lecture de Limonov d’Emmanuel Carrère 

> Les lauréats du Prix Lire dans le noir 2012

> La soirée de remise des Prix Lire dans le noir 2012