Prix Lire dans le noir 2012 : portrait d’un lecteur

Olivier Delaporte lit pour la première fois cette année pour la catégorie nouveauté du Prix Lire dans le noir. Il anime la chronique A l’écoute des livres sur la radio Vivre FM. Le 5 septembre, nous nous sommes rencontrés autours d’une tasse brûlante de thé oolong pour échanger sur sa découverte de la littérature, ses coups de cœur et ses coups de sang.

Rencontre avec la littérature
Mon rapport à la littérature est récent. Pendant les années 80, j’animais des émissions musicales sur le rock pour les radios FM privées. Je n’étais pas spécialement cultivé, je ne lisais que la presse musicale. En 1995 j’ai commencé des études de psychologie. Ma vue avait beaucoup baissé et je ne pouvais plus lire sur papier. J’ai entendu parler du livre audio à l’époque sur cassette. Rapidement, j’ai trouvé le chemin de la librairie parisienne Mots et merveilles . A défaut d’y trouver des livres universitaires, j’ai découvert la littérature.

Intuitivement deux catégories m’intéressaient : les polars et la littérature asiatique. Le libraire m’a conseillé Les chroniques du juge ti de Robert Von Gulik , un polar qui conte les aventures d’un juge chinois sous la Dynastie des Han. Le monastère hanté était le seul de ses livres disponible en cassette. Pour la littérature asiatique c’était difficile, il n’y avait que deux livres disponibles en cassette : Les belles endormies de Kawabata et un livre d’une écrivaine vietnamienne sur les procès organisés par le parti communiste vietnamien. L’offre est aujourd’hui beaucoup plus large. Pourtant seul 2% de la littérature papier est retranscrite en livre audio ce qui reste très faible.

Un bon livre
Je considère qu’il ne faut jamais sortir indemne de la découverte d’un livre. La lecture Des belles endormies a soulevé beaucoup de questions. Pour moi, c’est un livre qui tourne autours de la séduction. Que fait-on quand à 80 ans on a de l’attirance pour les gens plus jeunes ? J’aime qu’un livre provoque des questions. Je ne m’intéresse pas à la littérature légère. Je ne lis pas Guillaume Musso. Je trouve que c’est une perte de temps. Si l’on veut se détendre autant lire de la science-fiction ou des polars, plutôt que des histoires d’amour mal écrites. Si je souhaite lire un récit de voyage je lirai Alexandra  David-Néel , ou Nicolas Bouvier plutôt que Sylvain Tesson .

En littérature, mes choix sont arbitraires et mes goûts tranchés. Certains livres me marquent profondément. J’ai récemment chroniqué La chambre des morts sorti chez Sixtrid. Ce polar extrêmement violent m’a mis mal à l’aise. Ce livre entrait en résonance avec un fait divers arrivé au Canada pendant que je le lisais, mais son action se passait à Lille tout près de chez nous. Dans ma critique, j’ai abordé cette question de la distance. Les polars sont l’antichambre de nos fantasmes. Ils impressionnent notre imagination.

Je pense que le livre audio peut être un média formidable, la rencontre d’un texte puissant avec une voix qui lui donne vie. Malheureusement trop peu d’éditeurs prennent le temps de choisir les interprètes avec soin. Je pense à Neige* de Maxence Fermine. Un beau texte desservi par le comédien. D’autre part, je trouve que la sélection de textes de certains éditeurs est assez médiocre.

Eric Herson-Macarel est pour moi l’un des meilleurs lecteurs de livre audio, un très bon interprète avec une voix fabuleuse. Lors d’une interview, il lisait Mes propriétés d’Henri Michaux . Il avait choisit ce poète parce qu’il était très « hallucinatoire ». Eric Herson-Macarel a expliqué en interview que pour lui le livre audio doit avoir des capacités d’hallucination. J’ai trouvé que c’était très vrai.

Les coup de cœur de l’année

Cette année, j’ai aimé Les chaussures italiennes*. Un homme vit sur une île isolée. Un matin pendant qu’il prend son bain dans la glace, la petite amie qu’il avait 36 ans auparavant réapparaît poussant un déambulateur. Cette femme agit comme une boite de Pandore. Il ne peut plus échapper à son passé.  J’ai tout particulièrement aimé la vision surréaliste que je viens de vous décrire. Ce qui est intéressant dans ce livre c’est que l’auteur fait resurgir le passé par l’inattendu, l’inimaginable. Cest souvent ainsi que le passé resurgi… Henning Mankell a aussi écrit L’oeil du léopard un livre que j’ai vraiment aimé.

Cadix ou la diagonale du fou* est un livre vraiment génial. Mon seul regret :avoir dû l’ingurgiter en quelques jours pour en faire la chronique. Je n’ai pas eu le temps de le déguster ! J’aime beaucoup les polars historiques on y apprend des choses. L’histoire se passe à Cadix en 1804 pendant le siège de la ville par les troupes de napoléoniennes. Le livre fait ressortir toute l’absurdité de Napoléon, son obstination dans la guerre alors que sur le front c’est la débâcle. Un tueur en série sévit dans Cadix. Les personnages sont incroyables. L’un d’entre eux, Gregorio Fumagal, est à la fois taxidermiste et espion. Ce livre est très bien lu.

J’ai trouvé Limonov* d’Emmanuel Carrère passionnant. C’est une histoire de narcissisme. Limonov est marqué par l’existence médiocre de ses parents, fonctionnaires à Kharkov dans les années 70. A sept ou huit ans il veut déjà devenir quelqu’un. Au moment où il devient délinquant il prend conscience de son talent pour l’écriture. Son parcours le mènera de l’underground russe au new yorkais, puis à Sarajevo auprès des serbes pendant la guerre de Yougoslavie, récemment il était dans les manifestations anti-Poutine. Emmanuel Carrère rend ce personnage fascinant. Comment des personnes peuvent-elles effectuer de tels volte-faces au cours de leur vie ? Limonov aide à le comprendre.

J’ai aussi beaucoup aimé Les candidats   de Yun Sun Limet chez Autrement Dit. Deux enfants deviennent brutalement orphelins. Dans leur testament leurs parents ont désigné quatre couples candidats à leur adoption. Pour moi ce livre interroge : « A qui appartiennent les enfants ? ».

Chez le même éditeur j’ai aimé Les mal-pensants écrit par Albert Aygueparse. Lionel Lortigier, un homme issu d’une famille belge bourgeoise très catholique, quitte tout pour aller combattre en Espagne auprès des brigades internationales.

Les livres absents
Quand on a abandonné la cassetten de nombreux livres que j’aimais sont restés sur le bord de la route, parmi eux : Les belles endormies dont j’ai déjà parlé et Voyage d’une parisienne à Lhassa d’Alexandra David-Néel.

Il y a aussi les livres qui n’ont jamais été édités en audio et qui sont très nombreux. Certains me manquent plus que d’autres. Rithy Panh , un metteur en scène cambodgien, a écrit un livre qui s’appelle L’élimination. Les critiques ont été dithyrambiques. L’éditeur appartient au groupe Hachette, logiquement c’est Audiolib qui devrait le publier mais je crains que ce sujet n’intéresse pas cet éditeur.

 La chronique dédiée au livre audio sur Vivre FM
Vivre FM est une radio d’information sur le handicap. Depuis septembre 2011, je fais deux chroniques hebdomadaires sur le livre audio, A l’écoute des livres , le samedi et le dimanche. Je parle des livres qui m’ont touché et j’en passe des extraits. Je trouve déplorable que ma chronique soit la seule émission traitant du livre audio à la radio. * livre en lice pour le Prix Lire dans le noir
Informations pratiques: Vivre FM
A l’écoute des livres Samedi et dimanche 9h20, 14h15, 16h35 > Ecouter en podcast

> Liste des ouvrages en compétition

> Les lauréats du Prix Lire dans le noir 2011

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