Spotify rebat les cartes du livre audio
La production de livres audio est repartie sur les chapeaux de roues depuis la rentrée littéraire. En cause, l’arrivée très attendue en France d’un nouveau partenaire qui rebat les cartes du livre audio numérique : Spotify, le géant suédois de distribution de musique en ligne, ouvre depuis octobre son catalogue aux livres à écouter.
Une utopie pour l’audiolectorat ?
Un récent article du Monde résume en détails, chiffres à l’appui, les nouvelles possibilités d’accès qui s’ouvrent à l’auditorat. Si l’on peut aussi acheter l’accès à un titre individuel sur Spotify, l’abonnement standard à la plateforme inclut à présent, sans aucun supplément, 12 longues heures de temps d’écoute de livres audio. Un avantage indéniable pour le public, qui peut maintenant accéder via Spotify à toujours plus de textes en streaming, alors que la plupart des médiathèques locales peinent encore à développer leurs possibilités de prêts de livres audio numériques. Une utopie pour l’audiolectorat qui peut se réjouir de cette nouvelle « bibliothèque » en ligne qui lui est proposée et qui s’inscrit dans les habitudes contemporaines.
Mais quid de la rémunération des maisons d’édition et de toute la chaîne de production qu’entraîne cette « netflixisation » de la lecture audio ? « Nous sommes nous-mêmes dans le flou », admettait Jean-Christophe Vareille, fondateur des studios Rosalie et de la maison indépendante Multisonor, quelques semaines à peine après ce lancement. « Il y a des estimations venues des pays où ce modèle a pris une certaine avance, à savoir les pays anglo-saxons, mais globalement il y reste encore plus de questions que de certitudes. Nous allons bientôt voir ce qui se passe en France, où l’économie du livre conserve sa singularité. »
Combien l’écoute de livres audio va représenter, à côté de la musique et des podcasts, déjà bien installés ? Y aura-t-il un abandon des anciennes habitudes d’écoute et donc une perte des anciennes sources de revenus pour les maisons ? Ce qui est certain, c’est que celles-ci s’organisent pour augmenter drastiquement la production afin de nourrir les possibilités d’écoute élargie de cette nouvelle clientèle et pallier le zapping que permet la plateforme. Des profils moins éditeurs et plus producteurs sont recrutés au sein des maisons d’édition pour absorber cette explosion de la quantité de travail qu’implique cette création à la chaîne menée tambour battant. Le but visé : que l’écoute de livres audio se banalise et que la demande monte en flèche, afin d’augmenter les bénéfices et continuer d’évoluer pour donner accès à toujours plus de textes.
Mais ce nouveau modèle économique va-t-il forcer les autres diffuseurs à revoir sérieusement leur copie ? Et l’édition française est-elle assez résiliente pour soutenir ce modèle inspiré de l’industrie musicale, dont les majors brassent des sommes autrement plus élevées que l’industrie du livre ? Il est facile d’imaginer que cela tourne à la dystopie et de craindre une « McDonaldisation » prochaine du livre audio, selon la formule du sociologue George Ritzer. Des livres audio au rabais, une chute de la qualité éditoriale, l’avènement de textes lus au lance-pierre consommables et jetables plutôt que des œuvres d’art à chérir et réécouter… ne serait-ce pas la porte ouverte au remplacement des professionnel·les par l’automatisation des intelligences artificielles ? et la relégation du livre audio au statut de sous-produit du livre papier ?
Un complément d’auditorat
« Ce ne sont pas les signaux que nous recevons pour le moment », rassure Éric Marbeau, directeur commercial numérique du groupe Madrigall. C’est justement pour éviter ce type d’effet pervers que les éditeurs français refusent de mettre le doigt dans l’engrenage d’un abonnement illimité, explique-t-il, et se sont montrés plus précautionneux en négociant 12 heures d’écoute dans l’abonnement Spotify plutôt que les 15 heures du monde anglo-saxon. « Mais au contraire, plus d’un mois et demi après l’arrivée de Spotify en France, la vente au détail et les abonnements du type Audible n’ont montré aucun signe d’effondrement. Spotify représente au final moins un remplacement qu’un complément d’auditorat. »
En effet, il faut noter que les différents modèles ne bénéficient pas aux mêmes genres de livres audio. Dans le modèle d’abonnement par titre, dit du crédit unitaire, le lectorat privilégie les nouveautés des auteurs et autrices majeur·es, les succès de librairie et le genre roi du roman, ce qui renforce l’écart entre les bestsellers et le reste de la production. Au contraire, le modèle du crédit-temps, expérimenté en amont depuis juin 2022 grâce à Nextory puis Storytel, permet des revenus sur une plus grande variété de livres audio. L’audiolectorat ne s’y sent pas poussé à faire des choix exclusifs, ce qui fait vivre un plus large panel de livres audio, notamment le fonds des catalogues des éditeurs. Un beau motif de réjouissance pour les professionnel·les, puisque cela soutient la diversité éditoriale du livre audio, en particulier parmi les essais et autres œuvres de non-fiction qui fonctionnent mieux que sur d’autres supports.
« En outre, l’objectif annoncé de Spotify au cours de nos échanges est plutôt de valoriser la qualité de la création littéraire et éditoriale et de donner une place de choix aux auteurs contemporains, notamment francophones, ajoute Éric Marbeau. C’est pourquoi nous parlons de signaux assez sains qui témoignent de leur volonté d’influencer positivement l’écosystème de l’édition française, plutôt que jouer sur l’IA. »
En quête d’un nouvel auditoire
Une analyse optimiste que confirme Laure Saget, double héritière de Valérie Lévy-Soussan à la direction d’Audiolib et à la présidence de la Commission du livre audio du Syndicat national de l’édition. « Non seulement les tout premiers mois se sont bien passés, nous confie-t-elle, mais tous les abonnés de Spotify n’ont pas encore découvert les nouvelles possibilités que leur ouvre leur abonnement habituel, ce qui nous laisse une marge de progression importante pour l’année qui vient. »
Ni utopie, ni dystopie donc pour la directrice d’Audiolib, l’arrivée de Spotify représente à ses yeux un soutien et un relai salutaires pour l’édition audio. Elle y observe en grande partie l’audiolectorat, plus en symbiose qu’en marge, suivre les modes et évolutions du livre général, avec le genre de la romance sur la plus haute marche actuelle du podium. À ceci près que le livre papier stagne, tandis que sa version audio, elle, se développe. « En ces temps de crise, le livre audio est le seul secteur éditorial en pleine croissance », rappelle Laure Saget. C’est bien pour cela que Spotify y investit, en quête d’un nouvel auditoire pour qui le livre audio serait l’argument de bascule pour passer enfin d’un usage gratuit, financé par la publicité, à un abonnement payant à sa plateforme d’écoute.
En aidant à passer le mot au plus grand nombre, souhaitons à tous ces partenaires que ces bons vœux se réalisent, ainsi qu’une belle année 2025 florissante favorable à l’essor du livre audio !