Livre audio adulte
Du visible… À l’invisible
C’est avec une certaine émotion que l’on réentend cette voix grave, hésitante, comme sortie d’outre-tombe parler timidement de la passion viscérale qui l’anime.
« Vous n’aimez pas trop parler de vous, que l’on parle de vous » commence Francesca Isidori dans cet entretien du 18 mars 2003 diffusé dans l’émission Affinités électives sur France Culture.
Elle revient sur les années lycée de Laurent Terzieff qui a quitté l’école avant le Bac car, pour lui, il le dira plus tard dans les archives, « le théâtre doit se pratiquer très jeune, alors que l’on n’est pas encore émotionnellement formé. » Il reparle de sa découverte du théâtre, ce jour où il a vu La Sonate des spectres à La Gaîté Montparnasse. « Dans la vie, rien ne commence, rien ne finit » disait Paul Claudel mais au théâtre, si. Il y a les trois coups qui annoncent le commencement » et le rideau qui tombe pour dire la fin.
C’est ça qui attire Laurent Terzieff : le temps cristallisé par le théâtre. « On a l’impression que le temps n’a pas d’emprise sur vous » introduit Sylvain Augier dans cet autre entretien diffusé dans Qu’est-ce qui vous fait courir ? le 5 janvier 1988 sur France Inter. « J’ai un problème avec le temps, j’ai du mal à vivre le présent » confesse alors Laurent Terzieff. « Pour moi, le présent n’existe que dans la représentation. J’ai l’impression que rien n’arrive vraiment dans la vie alors qu’au théâtre, il y a toujours quelque chose qui commence et quelque chose qui finit » poursuit-il. Le théâtre était vraiment une obsession chez cet homme qui pouvait se relever la nuit parce qu’il avait trouvé une forme, une couleur pour une mise en scène…
Dans un autre entretien accordé au zozotant Bernard Bonaldi dans À voix nue sur France Culture le 18 juillet 1997, l’auteur confie que c’est avec L’Échange de Paul Claudel (1957) que « le texte est devenu physique, je dansais le texte, j’ai fleuri… Je suis devenu comédien ! »
Et Dieu sait s’il aimait le texte ! Il revient sur son premier choc littéraire avec L’Aveu d’Adamov qu’il rencontre peu de temps après. « Lors de notre première rencontre, il m’a demandé d’acheter ce livre chaque fois que je le rencontrerai et qu’il me rembourserait car il disait qu’il fallait détruire ce livre » relate Terzieff, lucide sur son mentor : « Adamov était un homme traqué. Il avait beaucoup de talent en ce temps-là, moins quand il a eu des certitudes… »
Au fil des archives, on ne peut que constater l’intégrité de bonhomme qui ne contredit jamais les paroles saccadées qu’il ponctue toujours de l’expression « n’est-ce pas ? ». Mais, lorsqu’il lit du Rainer Maria Rilke, sa voix est immédiatement plus claire et assurée. De même que dans les extraits choisis de Tête d’or ou de L’Échange qui complètent les documents radiophoniques.
Laurent Terzieff s’était donné pour vocation de faire passer dans le domaine du visible (le théâtre) l’invisible intériorité de la poésie pure. Il s’en est définitivement allé rejoindre le domaine de l’invisible. Ce double disque le fait revivre deux petites heures.
L’homme…
Laurent Terzieff est un acteur et metteur en scène français né le 27 juin 1935 à Toulouse et mort le 2 juillet 2010 à Paris. Il repose au cimetière du Montparnasse à Paris.
Issu d’une famille d’artiste, il est le fils de Marina, peintre, et de Jean Terzieff, sculpteur. Sa sœur, Brigitte Terziev est elle aussi sculpteur.
Laurent Terzieff commence sa carrière très jeune, à 17 ans, dans Tous contre tous de l’auteur russe Arthur Adamov aulequel il voue une admiration sans bornes depuis l’âge de 15 ans, lorsqu’il trouve un exemplaire de L’Aveu, sur le quai d’une gare. Le choc !
Sa première rencontre avec le théâtre, il la fait un an plus tôt, à la Gaîté Montparnasse où, grâce à une amie de sa sœur danseuse qui tient la caisse du théâtre quand elle ne danse pas, il assiste à une représentation de La Sonate des spectres de Strindberg mise en scène par Roger Blin, avec qui il travaillera également par la suite. C’est avant même le début de la représentation, face au rouge étincelant du rideau clos, que l’ado Terzieff se serait dit : « c’est ça que je dois faire ! »
Remarqué dans la fiction télé L’affaire Weidmann ainsi que dans L’Échange de Paul Claudel mis en scène par Guy Suarès et Cloître Saint-Séverin, Laurent Terzieff décroche un des rôles principaux dans le film de Marcel Carné , Les Tricheurs. Dès lors, il ne pourra plus sortir acheter la presse sans se faire reconnaître et rappeler la scène où son personnage crache sur un journal.
Mais même en ayant tourné avec les plus grands de son temps (Clouzot, Godard, Pasolini, Rosselini…), Tierzieff ne sera jamais un homme de cinéma. S’il reconnaît volontiers les qualités du septième art, c’est le théâtre qui l’intéresse par dessus tout. Et il est metteur en scène, pas réalisateur ! Il refuse, en plus, pour faire carrière – comme le lui conseillent ses agents de l’époque – de faire des mauvais films.
En 1961, il rencontre l’actrice Pascale de Boysson qui deviendra sa compagne à la ville comme à la scène. Ensemble, ils fondent la compagnie Laurent Terzieff.
Le théâtre mis en scène par Terzieff est exigeant et sans compromis. Il adapte peu les classiques car il considère que ces relectures modernes tiennent du clin d’œil. Ce qui le passionne, lui, c’est « goûter son époque », alors il adapte des auteurs contemporains, dont beaucoup d’anglo-saxons. Ce qui l’empêche peut-être de séduire le grand public. Mais selon lui, « le public a peut-être refusé certaines de mes œuvres mais elles ne lui sont jamais passées au dessus de la tête. »
Il est couronné du Molière du comédien le 25 avril 2010 pour ses rôles dans L’Habilleur de Ronald Harwood mis en scène par ses soins et Philoctète de Jean-Pierre Siméon mis en scène par Christian Schiaretti. Ce sera sa dernière pièce, curieusement inspirée par l’archi classique Sophocle. Plus étonnante encore est sa dernière apparition cinématographique dans le rôle d’Alexandre Jung dans le blocbuster de Jérôme Salle, Largo Winch II avec Sharon Stone et Tomer Sisley.
Marie Gallic
La famille Terzieff au cimetière du Montparnasse
Le site des éditions Radio France
Laurent Terzieff récite Rainer Maria Rilke sur le plateau de Bouillon de culture