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Nova Book Box

Quatre fois par semaine, Richard Gaitet retrouve les auditeurs de Radio Nova pour deux heures de lecture nocturne entrecoupées de musique. Nous l’avons retrouvé un froid après-midi de janvier, alors qu’il venait de terminer l’enregistrement de la Nova Book Box du soir, pour échanger sur ce jukebox littéraire.

Richard GaitetParlez-nous de votre émission, Nova Book Box.
L’émission se déroule du lundi au jeudi de vingt-deux heures à minuit. Nous nous sommes inspirés du principe du juke-box, appliqué à la littérature : au lieu de jouer des disques, chaque soir je lis sept courts extraits de sept livres différents. La sélection doit être la plus variée possible en termes de genres (romans, essais, théâtre, bande dessinée , modes d’emploi, guides touristiques…), d’époques ou de pays. Au cours du programme, un grand classique peut côtoyer un fanzine de BD underground dans lequel j’ai repéré une histoire absurde. Chaque quart d’heure, je fais une lecture puis je présente la page d’une manière aussi sérieuse que fantaisiste. Assez souvent les musiques qui s’intercalent sont en rapport avec les lectures.

Crédit photo : Blaise Arnold

Comment choisissez-vous les textes lus ?
Pour que je sois heureux de faire l’émission, les extraits doivent épouser mon humeur. Je choisis les textes le jour même. Je pioche dans les livres que j’ai à ma disposition, les textes envoyés par les auditeurs ou les maisons d’édition… Je compose le menu en m’inspirant parfois de l’actualité, mais surtout et d’abord je suis mon plaisir. Dans Nova Book Box, je reproduis le feuilletage. Je cherche à restituer les sensations, la curiosité que l’on ressent en déambulant dans les rayons d’une librairie.

Rudyard Kipling Aujourd’hui, quand je parcours un livre je repère spontanément les extraits qui pourraient être présentés dans l’émission. Je parcours les livres au hasard. Si je ne décroche pas de toute une page, cela veut dire que quelque chose s’en dégage, quelque chose qu’on peut comprendre sans avoir lu le livre entier : un style, une histoire, des émotions. Parfois, même dans un mauvais livre, il peut y avoir des beaux passages. Alors je donne cette page à entendre.

Votre sélection est très éclectique, vous arrive-t-il de vous censurer ?
Il m’arrive de lire des textes pornographiques ou violents. Je suppose que l’auditeur est une personne intelligente et éclairée, qui pourra comprendre qu’à aucun  moment je ne fais l’apologie de l’immonde, des pulsions destructrices, ou du meurtre. S’il doit y avoir un recadrage, je le fais lorsque que je présente l’extrait, je donne des précisions pour sa compréhension. Je n’ai pas de goût naturel pour les textes choquants, mais je ne m’interdis pas de les lire. Je crois que l’on peut tout lire, en expliquant bien les choses moins évidentes.

Au cours de vos lectures à voix haute, vous arrive-t-il d’être ému ?
Beaucoup, beaucoup ! Je me souviens de ce passage d’un roman de Delphine de Vigan , Rien de ne s’oppose à la nuit , une enquête qu’elle a mené pour tenter de comprendre d’où venait la souffrance de sa mère. Lors de l’enregistrement de la lecture, j’étais touché. J’ai hésité à garder la prise, puis je me suis dit qu’il était mieux de montrer que j’étais un peu ému en lisant cet extrait.

Delphine de ViganIl y a un mois un auditeur m’a envoyé un passage que j’avais oublié de  Voyage au bout de la nuit de Céline sur l’absurdité de la vie et la colère du narrateur contre le panurgisme. La beauté de ce passage m’a frappé. Il y a aussi eu un poème de Rudyard Kipling , Tu seras un homme mon fils . L’auteur l’a écrit quand son fils de 18-19 ans est parti se battre durant la Première Guerre mondiale. Il dresse une espèce de liste sur les étapes que supposément un jeune homme doit franchir avant de pouvoir dire qu’il est un homme. C’est aussi un père qui dit son émotion de voir son fils partir et risquer de mourir dans ces conditions-là. Le texte est sublime.


Comment vous préparez vous à la lecture ?

Pour moi la lecture à voix haute est une découverte. C’est un beau geste, un mouvement de partage. Il y a le défi de faire sonner le texte. Je n’ai pas encore tranché s’il faut interpréter ou pas les textes. Je le fais parce que j’ai l’impression que les gens ne vont pas écouter ma voix seule. La diversité des textes choisis appelle à la variété des interprétations. Je peux y mettre de la surprise, de la tristesse, un grand rire, moduler ma voix pour que ce soit plus vivant.

Je ne travaille pas les textes. J’aime garder une certaine fraîcheur. J’aime quand quelque chose se passe lors de la première prise, sans préparation, sans effet. Aujourd’hui je suis plus à l’aise avec la lecture à voix haute, mais il arrive encore parfois que je doive faire sept ou huit prises. Nova est une radio sur laquelle les auditeurs se branchent d’abord pour écouter de la musique, les sept lectures du soir doivent être irréprochables pour se fondre dans la programmation. 

Emmanuel Carrère La lecture est un geste intime. On a l’impression que les situations qu’un bon livre nous a permis d’imaginer n’appartiennent qu’à nous. Les phrases qui font résonner les enseignements que l’on en tire sont personnelles. Dans l’absolu, je trouve légitime que tous les auditeurs ne partagent pas mon  appréciation du livre. A sa sortie, j’ai lu un extrait Limonov d’Emmanuel Carrère , et mon interprétation était surjouée.  J’ai raté mon objectif. J’ai adoré ce livre. J’ai voulu le restituer mais je n’ai pas été juste.

La lecture à voix haute a-t-elle changé votre regard sur le texte ?
J’ai l’intuition que maintenant j’arrive un peu mieux à distinguer un bon écrivain d’un mauvais avec la ponctuation. Quand un texte est très difficile à lire, c’est souvent parce que la ponctuation, me semble-t-il, est mise n’importe comment. Alors que même pour ceux qui ont une langue compliquée, si je respecte la ponctuation, ça coule plus facilement.

Georges PerecDes lecteurs vous soumettent-ils des textes ?
Je reçois environ deux textes par jour. Ce qui tombe bien puisque si on m’envoyait plus j’aurais du mal à répondre. La radio favorise l’intimité entre le présentateur et les auditeurs. A chaque émission, je les encourage à m’envoyer un texte qui est important pour eux. Je n’ai jamais reçu de littérature obligée. Je demande ce qui a motivé ce choix, ce qui plaît à la personne dans le passage. Quand je lis le texte, je l’accompagne du commentaire de celui qui me l’a soumis.

Dans l’émission de ce soir, deux extraits m’ont été envoyés par des auditeurs : un extrait tiré des notes d’Antonin Artaud sur la cruauté, et d’Un Homme qui dort de Georges Perec , l’histoire d’un étudiant enfermé dans sa chambre et qui pense – comme dit Perec, « une parenthèse de solitude et de bonheur ».

 

 

Informations pratiques
Retrouvez Nova Book Box du lundi au jeudi de 10h à 00h
> Aller sur la page internet de Nova Book Box pour écouter les podcasts et connaître la liste des livres lus
> Ecouter Radio Nova

> Fiche de lecture de Rien ne s’oppose à la nuit de Delphine de Vigan
> Fiche de lecture de Limonov d’Emmanuel Carrère 

 
 


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