Entretien avec les libraires du Chat noir
Il y a presque 7 ans, Catherine Uberti et son mari ouvraient un salon de thé à Clermont-Ferrand. Mais, leur but était, à travers la dégustation de gâteaux, de faire découvrir aux clients le livre audio… Alors, depuis 2 ans, ils vendent exclusivement des livres audio. Entretien.
Pourquoi avoir arrêté le salon de thé ?
Je n’en pouvais plus de faire des gâteaux ! Je suis aussi conteuse à côté, et, ça devenait épuisant de finir des réprésentations à minuit et de se retrouver dès 7h30 dans le labo à préparer des gâteaux le lendemain. Ceci dit, j’écoutais beaucoup de livres audio au casque pendant cette préparation. Aujourd’hui, même si j’écoute les livres en librairie, je me rends compte que ces 3 heures de préparation de gâteaux étaient un moment privilégié pour l’écoute…
Aujourd’hui, si vous n’avez plus besoin de cette activité annexe, c’est que le livre audio se porte bien ?
On a eu la chance de pouvoir racheter un local dans un passage touristique, juste au pied de la cathédrale de Clermont-Ferrand. Il y a beaucoup de touristes, donc, on a ouvert un espace de carterie d’art pour attirer les gens. Mais, à part ça, on ne fait que du livre audio, oui. J’exerce toujours mon métier de conteuse à côté, mes spectacles ramènent du monde à la librairie. On a aussi organisé une lecture de Denis Podalydès à la librairie, grâce à Thélème. Ces actions font parler de la librairie mais c’est toujours difficile. On a monté cette entreprise sans subventions, sans aide, aucune, à la simple sueur de notre front. On arrive à survivre mais jusqu’à quand ? Le debut de l’année 2012 a été particulièrement difficile. Il parait que les périodes électorales sont toujours difficiles pour les commerces mais, là, la crise on l’a sentie ! Il y avait une morosité ambiante et puis on a eu un printemps pourri, ce qui n’arrange jamais les affaires…
D’où vous vient cet amour du livre audio ?
Je ne sais plus bien. On n’a jamais eu de télévision mais nous avons toujours aimé la radio. Je crois que c’est aussi venu à travers les enfants. Nous empruntions souvent les enregistrements CD de l’émission Les histoires du Pince-Oreille de France Culture à la bibliothèque. Il n’y avait pas forcément un grand fonds de livre audio à la bibliothèque mais nous avons aussi dû emprunter Harry Potter lu par Giraudeau. Le travail des éditions Frémeaux nous a beaucoup marqué également.
Je ne sais plus exactement quel a été le déclic mais après cette découverte, on s’est dit qu’une librairie sonore, ça n’existait pas encore. Alors on s’est lancé dans ce pari un peu fou. En passant par le salon de thé car on avait conscience de se lancer dans une entreprise ardue. Après coup, je me dis que l’idée du salon de thé n’a pas nécessairement fonctionné car j’ai des clients qui me disent qu’ils n’avaient jamais remarqué les livres audio dans le salon…
Qu’est-ce qui vous séduit particulièrement dans le livre audio ?
J’aime ce contact différent avec un livre, la magie de la voix qui lit et qui donne vie à la musique du texte. C’est devenu une drogue, j’ai besoin de la magie de la parole ! Je suis conteuse, donc, pour moi, le livre audio est vraiment un plus par rapport à la version papier.
Nous avons installé un canapé dans la librairie pour permettre aux clients d’entendre le livre de leur choix. Cet accueil est très apprécié, de même que notre côté militant, je crois.
Quelle est votre clientèle ? Est-ce majoritairement des gens empêchés de lire ?
Nous avons énormément de gros lecteurs ainsi que des auditeurs de France Culture, ainsi que beaucoup de gens qui n’ont pas la télé. Pas mal de clients viennent également pour leurs enfants et décident de s’y mettre eux aussi. Évidemment, nous avons aussi des gens qui nous disent : « Ah mais, moi, j’adore lire !! » Mais les gros lecteurs aiment souvent également entendre lire… C’est pour tous ces gens que j’ai affiché une pancarte à l’entrée de la librairie avec, en haut, cette citation de Patrick Frémeaux que j’aime beaucoup : « dire que le livre sonore est réservé aux malvoyants, c’est comme affirmer que le livre est destinés aux seuls malentendants… »
Selon vous, que manque-t-il au livre audio en France pour qu’il se développe comme en Allemagne ou en Angleterre ?
Je ne sais pas ! Je pense que c’est en train de venir car, au départ, les gens se demandaient ce que c’était mais, maintenant, les gens passent devant notre boutique et disent : « tu vois, dans cette librairie, ils vendent des livres enregistrés sur CD, c’est sympa… »
Mais, c’est compliqué. J’ai été enseignante en lettres et, à une époque, j’ai essayé d’aller démarcher les CDI dans les collèges et lycées mais les professeurs de lettres sont très fermés au livre audio. Ils disent que ça ne peut pas s’intégrer à leurs cours mais on pourrait imaginer un rayon livres audio dans les CDI, juste pour le plaisir de l’écoute, non ? Mais le monde enseignant est complètement fermé au livre audio, donc, j’ai abandonné cette idée…
Je me console avec mes clients fidèles. Il y a une prof de français allemande qui passe tous les ans, à l’époque des vacances, pour faire le plein de livres audio en français. Elle me demande des conseils sur la littérature contemporaine. Ça fait plaisir !
Avez-vous un best-seller ?
Pas vraiment… En revanche, je peux vous donner mon livre audio préféré, il n’existe plus ; c’est Alexis ou le traité du vain combat de Marguerite Yourcenar lu par Didier Sandre. C’était aux éditions Gallimard qui font un très très bon travail.
En fait, je crois que je vends bien ce que j’aime bien. J’essaye aussi de promotionner de petits éditeurs, comme Thélème, même si j’aime moins leurs dernières sorties ou Sous la lime qui font de très belles poésies. Je suis très franche, c’est un défaut parfois mais si je ne suis pas convaincue par un ouvrage, je le mets au placard.
Dernièrement, j’ai beaucoup aimé La mort du roi Tsongor et Ouragan, lu par Pierre-François Garel qui est un très grand lecteur, chez Thélème. L’enchanteur chez Le Livre qui parle a été une très belle surprise également. Proust, lu par Dussolier ou Denis Podalydès, ça me donne la chair de poule tellement c’est beau…
Brumes de Mars, aussi, essaye de faire de la bonne qualité avec les moyens du bord.
Je suis plus sévère avec Audiolib, même si chez eux il y a autant de très bon que de très mauvais, car ils font effet de rouleau compresseur dans le milieu de l’édition sonore.
La démarche de De vive voix est très intéressante dans le domaine de l’Histoire et des sciences et leurs titres ont un prix abordable. Ça joue beaucoup, le prix ; le coût élevé du livre audio fait souvent reculer les gens.
Propos recueillis par Marie Gallic
La Compagnie du Chat noir
1, rue des Gras 63 000 Clermont-Ferrand
Librairie ouverte du mardi au samedi de 10h à 19h.
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