La musique des mots
La 3e édition du festival de lecture à haute voix, Livres en tête, s’est tenue du 16 au 19 novembre 2011 à Paris. L’équipe de Lire dans le noir a choisi la journée de clôture pour aller éprouver la musique des mots.
SUR ÉCOUTE
Premier rendez-vous à 15h à l’Institut de la mode, près de la gare d’Austerlitz. Là, nous attend un jury d’experts composé de Félix Libris, star internationale de la lecture à haute voix, Daniel Pennac, également président du festival, Valérie Levy-Soussan, directrice d’Audiolib, et Pierre Jourde, écrivain coorganisateur du festival. Leur lourde tâche : critiquer les extraits de livres audio diffusés à l’assemblée d’oreilles présentes et sélectionnés par le collectif de « lecteurs sonores », Les Livreurs.
Classiques
« Veuillez éteindre vos téléphones car il y a beaucoup de choses à entendre » nous prévient-on d’emblée. La dégustation commence avec deux textes classiques. Le Nez de Gogol et Un cœur simple de Flaubert. « Nous tenons à préserver l’anonymat des lecteurs » nous précise-t-on. Peine perdue puisque la voix de Fabrice Lucchini est immédiatement identifiée par le jury dans la lecture de Flaubert. Les avis sont partagés. Pierre Jourde et Valérie Levy-Soussan préfèrent la lecture rythmée et pleine d’emphase de Lucchini, trouvant celle de Podalydès – démasqué lui aussi – « très classique ». Daniel Pennac et Félix Libris seront plus durs avec Lucchini, précisant qu’il lit tous les textes de la même façon, c’est à dire la sienne, sans prendre la mesure du texte. Pennac se fendra même d’un bon mot d’humour à propos de la lecture de Lucchini : « d’un point de vue écologique, je suis absolument consterné par l’extinction du thon dans nos océans mais concernant la lecture, je serais pour une extinction du ton. Lucchini gagne à être vu en étant entendu mais perd à être entendu sans être vu. »
Polars
Ensuite vient le tour des polars avec trois textes soumis à l’appréciation du jury : Les hommes qui n’aimaient pas les femmes de Stieg Larsson, Tueuse d’Annie Barrière et Le passager de Jean-Christophe Grangé. Là, le jury n’est pas tendre. Le premier extrait, tiré de la saga littéraire grand public Millénium est lu par une « reading machine » selon Félix Libris. « C’est un texte écrit à la chaîne, lu par un pro qui fait bien son boulot. » Valérie Levy-Soussan, chez qui le livre audio est édité, précise toutefois que « Millénium, c’est 160h de lecture et le comédien n’avait jamais fait de lecture avant. » Félix Libris, qui a réponse à tout, conclut que « c’est triste, sa façon de lire est déjà figée, on ne sent aucune marge de progression. » Le texte d’Annie Barrière se fait unanimement huer. « Le texte est si mauvais qu’il n’y a que deux solutions : ne pas l’enregistrer (c’est la meilleure) ou le faire simplement, sans chercher à donner quoi que ce soit, contrairement à ce que fait la jeune fille qui lit ça… » Le jury sera plus magnanime avec le troisième extrait même si la voix de basse du lecteur leur semble être un petit poncif pour un polar.
Le piège
Le troisième exercice consiste à écouter des textes différents lus par la même personne, soit « LE lecteur à voix haute du moment » comme il nous est présenté. Les réactions du jury, qui croit avoir affaire à un seul texte, sont plutôt positives. Seule Valérie Levy-Soussan note un problème de cohérence dans le texte. Et elle a bien raison car il s’agit en fait d’un montage de sept morceaux de textes différents lus par le même lecteur mis bout à bout ! « Et le père Pennac, tranquille, qui dit qu’il a bien aimé ! C’est qu’en fait, je m’en suis bien foutu du texte, je me suis installé dans cette voix. » Comme quoi, même les professionnels peuvent se faire prendre au piège et cet exercice prouve à l’assistance qu’il y a une belle différence entre écouter un texte et le lire. Car, il y a de grandes chances pour que nos yeux eussent été moins dupes que nos oreilles face à cet exercice qui, transposé à l’écrit, aurait donné un cadavre exquis.
Des textes par leurs auteurs
La quatrième partie de la dégustation fait entendre des textes lus par leurs auteurs. Le premier texte, haché avec une impression de bafouillage, fait l’unanimité contre lui. « Il y a assez de gens qui haïssent Sollers pour qu’en plus il n’ait pas des techniciens qui le haïssent aussi. Cet enregistrement est affreux » s’emporte Daniel Pennac dont on a la joie d’entendre la lecture enjouée d’un Kamo juste après. Les compliments fusent. Il est vrai que cette lecture a quelque chose de rafraîchissant et de très humain. Pennac, lui, trouve que sa lecture est trop rapide. Modeste, il s’emballe plus sur l’extrait suivant : « j’ai une adoration absolue, aveugle et sourde pour la voix de Nathalie Sarraute ! » Tout le monde s’accorde à dire que, même si elle est pleine de défauts techniques, la lecture de Nathalie Sarraute est pleine d’émotion. Seul Félix Libris maintient que ça a trop vieilli pour être écoutable.
Parlant de choses qui vieillissent, l’extrait suivant est un poème d’Apollinaire. « Sous le pont Mirabeau coule la Seine… » Émotion dans la salle. Félix Libris concède, pour une fois, que la technique est là, même si elle s’inscrit franchement dans une époque révolue. Valérie Levy-Soussan confirme que la poésie est ce qui se démode le plus car c’est la lecture qui impose le plus de partis pris. « Il faut adopter un type de voix, de scansion, de liaisons… et tout ça vieillit vite. » Daniel Pennac rebondit avec l’idée d’une histoire des tons en France.
En chanson
De la poésie à la chanson, il n’y a qu’un pas. Le dernier exercice est une écoute de Ne me quitte pas de Jacques Brel suivie d’une lecture du texte seul. La réaction du jury est sans appel : « c’est un gag ? » demande Félix Libris. Pierre Jourde poursuit en jetant un pavé sur un monument de la chanson française : « la lecture parodique fait ressortir tous les défauts de ce texte exécrable et est peut-être plus dans la vérité du texte exempt de la personnalité de Jacques Brel. »
L’HEURE DU BAL
Après une écoute très musicale de textes littéraires, la suite logique, c’est le bal. On se rend donc au Réfectoire des cordeliers, du côté d’Odéon pour prendre un cours de salsa, meringue, cumbia et autres cousines du zouk en compagnie d’Alix et Coco Coach. Ces danses collé-serré, tout en déhanchés chauffent adéquatement la salle puisque le thème de ce « Bal à la page », c’est le « porno chic ».
En trois actes, entrecoupés d’entractes dansés, les Livreurs montent sur scène pour offrir des lectures vivantes entre les notes improvisées de Benjamin Moussay au piano. Beckett, Catherine Millet, Philippe Roth, Céline, Verlaine… prennent corps dans la bouche des lecteurs. Avec leur talent d’incarnation du texte, ils font rire l’assistance à gorge déployée alors même que bien des extraits choisis sont assez violents, (« O se fait fouetter » dans Histoire d’O de Pauline Réage, Éradice se fait laver de ses péchés par un prêtre et son « cordon de St François » dans Thérèse philosophe de Jean-Baptiste de Boyer, sans parler de La vie sexuelle de Cathrine M.) Les femmes ne sont pas vraiment à la fête dans ces affaires, elles sont souvent soumises au désir masculin, mais tout le monde rit, alors, on ne va pas gâcher la fête. On quitte tous les lieux à minuit, telle Cendrillon, avec La Fée Carabine dédicacée par Daniel Pennac en plein bal en poche, en se disant que ce n’est pas tous les jours que l’on voit danser des mots. Prochaine occasion : le Bal à la page organisé par Les Livreurs pour la St Valentin.
Marie Gallic
> Blog du festival Livres en tête