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Lecture dans le noir au Centre Pompidou : le plaisir de « se laisser porter »

A 20 heures passées, la nuit est tombée mais l’ambiance est encore studieuse à la bibliothèque publique d’information du Centre Pompidou (Paris, 4ème). Des étudiants révisent leurs partiels, des visiteurs tardifs feuillettent les journaux. Une salle accueille Lire dans le noir pour une séance de lecture toutes lumières éteintes, dans le cadre d’ateliers de sensibilisation aux handicaps. Des masques d’avion ont même été prévus ! Convaincues par les annonces au haut-parleur, quelques personnes font une pause et viennent tenter l’expérience.

Conteur d’un soir, le comédien Pierre Grammont s’apprête à entrer dans la peau de ses personnages. Il s’installera derrière le public pour lire les extraits choisis, éclairé par une petite lampe. Pas question de dévoiler tout de suite les auteurs et les titres, c’est une surprise ! Il prévient quand même : les textes « n’ont rien à voir les uns avec les autres » et sont de longueur variable. La journaliste Isabelle Labeyrie invite le public à « se laisser porter par la lecture », pendant 45 minutes environ.

2015-11-25 21.01.09Les lumières s’éteignent comme au cinéma, les auditeurs se prêtent au jeu et mettent les masques pour se plonger dans l’ambiance. La qualité d’écoute est tangible, l’interprétation remarquable. Toutes les nuances ressortent : les silences, les pauses, les inflexions de la voix au fil des personnages. On a le sentiment de se faire lire une histoire, suspendus à la voix du narrateur capable de faire naître des images dans l’imagination de tous.

Les textes sont oniriques, à la limite du fantastique, et cette atmosphère de recueillement feutré encourage à apprécier chaque détail de ces récits. Le ton est tour à tour rond ou pointu, bondissant, mystérieux. Les jeux de mots, la musicalité des phrases bercent : « L’ermite en pantalon de velours sait économiser l’eau pour entretenir un petit potager. » A la lecture, c’est joli, mais à l’écoute la dimension poétiques est encore plus marquée.

Lorsque les lumières se rallument, Pierre Grammont et Isabelle Labeyrie lancent la discussion sur les extraits choisis. Des petits poèmes de Christophe Tarkos, un auteur contemporain, entrecoupaient des nouvelles plus longues. « J’aime beaucoup son jeu sur le langage qui tourne en rond, cherche, tâtonne et trouve », résume le comédien. Quant au texte « La mère et le fils », de Reinaldo Arenas, « ça m’a fait penser à Psychose », glisse une dame du public. Pierre Grammont comprend cette impression : l’auteur cubain travaille sur « le mal-être, la persécution » et la dimension fantastique de ses écrits qui rappellent Borges ou Garcia Marquez. Le dernier texte, « Les secrets de ma cuisine », de Julien Campredon, est plus léger avec quelques touches d’humour bien placées.

2015-11-25 21.06.15-2-1Le public n’a pas l’habitude de cet exercice mais l’a apprécié. « Ca ajoute un relief au texte », trouve un jeune étudiant en finances qui a interrompu ses révisions pour écouter « un texte ou deux ». Finalement, il est resté jusqu’au bout. Une bibliothécaire, « habituée à écouter des livres mais pas dans le noir », a été un peu déstabilisée. « La concentration est presque trop grande. Je n’ai pas les mêmes dérivatifs qu’avec les yeux ouverts et des choses autour. » Isabelle Labeyrie approuve : « au quotidien, tous nos sens sont sur-sollicités ».

Une auditrice a trouvé difficile de se concentrer. Une autre, qui « lit beaucoup mais n’écoute jamais rien » a « réussi à rentrer dans les récits. » Les textes poétiques, par contre « ça allait trop vite, je n’avais pas le temps de m’installer ». Tous, en tout cas, ont répercuté la lecture en images. Et lorsqu’un non-voyant demande à ses camarades de lecture s’ils pensent avoir vécu, avec un bandeau, la même expérience que lorsqu’on se trouve « vraiment dans le noir », la réponse est unanime : c’est forcément différent.


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