Offrir aux enfants la possibilité de caresser leurs rêves du doigt…
Le 3 novembre, la maison d’édition Les Doigts Qui Rêvent recevait un Prix de l’économie solidaire dans l’amphithéâtre du journal Le Monde pour son modèle de « partenariat » avec La MAIF. L’occasion de revenir sur l’action de cette association qui fabrique des livres tact-illustrés, dans un atelier employant des personnes en insertion, pour permettre aux enfants déficients visuels de toucher leurs rêves du bout des doigts.
TOUS SOLIDAIRES
Le 3 novembre 2011, l’association Les Doigts Qui Rêvent reçoit un des Grands prix de la finance solidaire organisés par Finansol et le journal Le Monde. L’objet de la récompense ? Le partenariat avec la MAIF. « On est sans arrêt à la recherche de fonds car personne ne vous aide sur le long terme » regrette Philippe Claudet, directeur et fondateur des Doigts Qui Rêvent. « Alors quand la MAIF est venue nous chercher pour entrer dans leur plan d’économie solidaire sur 5 ans, ça a été évident. Ils voulaient monter un partenariat avec une association mais ils étaient à la recherche de l’association qui leur correspondait. La MAIF est un assureur « militant » lié au corps enseignant » poursuit M. Claudet. Une association qui fabrique des livres pour apprendre aux enfants déficients visuels à lire le braille ne pouvait que les toucher. « Cela fait trois ans que le partenariat (pour chaque Livret Épargne autrement souscrit à la MAIF, 75% des intérêts sont reversés à l’épargnant et 25% aux Doigts Qui Rêvent) est en cours. Et ça marche ! La première année, ça a été la mise en place. La deuxième, on a fait imprimer des marques pages pour les faire distribuer à tous les employés de la MAIF pour qu’ils soient tous au courant du partenariat. Et aujourd’hui, il y a de plus en plus de souscripteurs… La MAIF nous offre un minimum garanti de 25 000 euros par an et si, en 2013, les sommes deviennent trop importantes, la MAIF a le droit d’étendre le partenariat à une deuxième association. C’est ça l’économie solidaire. »
APPRENDRE À LIRE DU BOUT DES DOIGTS
Au début des années 90, Philippe Claudet alors instituteur à Dijon fait un dur constat. « J’avais des élèves malvoyants dans la classe mais pas de livres pour leur apprendre à lire ! J’ai commencé à en faire pour ma classe et ce sont les parents d’élèves qui sont venus me voir pour m’encourager dans ma démarche qui est ensuite remontée à des enseignants spécialisés puis à des bibliothèques. La France est un pays où les livres de jeunesse sont très développés mais il n’y a rien pour les enfants malvoyants… J’ai donc lancé Les Doigts Qui Rêvent en 1994 pour pallier ce manque. »
Mais un livre tactile coûte cher. « Nos livres sont entièrement fabriqués à la main. » Ils incluent des matières découpées à la main pour susciter l’imaginaire de l’enfant qui les caresse. « Cela fait 30 ans que la science prône que le toucher est indispensable au bon développement de l’enfant » insiste M. Claudet. « Les livres tactiles ne fournissent pas seulement de la lecture, mais aussi de la culture. Un enfant voyant apprend à nommer le monde à travers les contes illustrés avant de le lire. Les enfants malvoyants ont également besoin de le faire et cela passe par le contact avec la matière. Nous soutenons l’idée que ces enfants ont des droits. Les mêmes droits que les autres enfants ! »
L’ATELIER POUR VOIR
Il faut donc fabriquer à plus grande échelle. D’autant plus, « qu’en tant qu’instit », M. Claudet trouve « scandaleux de faire payer 100 euros pour un livre », aussi beau soit-il. Cela tombe bien, alors qu’il cherche de la main d’œuvre, il tombe sur un chantier d’insertion en mal d’activité. « Nous avons donc fait un mariage de raison en 1996 pour créer L’Atelier Pour Voir. Depuis, l’insertion professionnelle est aussi importante pour l’association que les livres tactiles. » Ainsi, la réception d’un Prix de l’économie solidaire n’est-elle pas anodine. « Avec le Prix, on a eu des journalistes à L’Atelier. Ils ont interrogé les employés qui sont des gens en réinsertion professionnelle avec tant de problèmes qu’on se demande comment ils tiennent encore debout. Le fait de fabriquer des livres pour de jeunes aveugles leur redonne déjà confiance en eux mais le fait que la télé vienne les filmer, ça les valorise, et c’est ce dont ils ont le plus besoin. »
RECHERCHES SENSORIELLES
Comme si ce n’était pas déjà assez, Les Doigts Qui Rêvent ont un programme de recherche sur la perception qu’ont les aveugles des objets que l’on ne peut pas toucher, comme le soleil et les nuages… Et oui, il est important de savoir si l’on dessine un cercle et des rayons dans un album tactile si l’enfant malvoyant va identifier cela comme un soleil ! « Le Centre Amandine est un centre virtuel, c’est en fait un ensemble de partenariats avec des universités et des chercheurs pour tenter de comprendre le langage maternel des aveugles. On rend le contenu de ces recherches public une fois par an dans la revue Terra Haptiqua (l’haptique désigne notre capacité à percevoir le monde par le toucher). C’est une belle revue, avec une charte graphique en couleurs qui pourrait être dans un musée d’art contemporain. On veut vraiment casser cette image misérabiliste de la revue pour aveugles. On va au-delà du handicap ! »
TYPHLO & TACTUS
Hors recherche, Les Doigts Qui Rêvent produisent aussi des livres à l’intention des personnes qui travaillent avec des aveugles. Or, ces publications paraissent souvent dans des langues étrangères. D’où la brillante idée de travailler à l’international avec la création en 2000 du Prix Tactus (aujourd’hui Typhlo & Tactus), récompensant la meilleure maquette d’album tactile. « Je suis généralement au courant de la publication d’un livre intéressant sur le travail avec les aveugles ou l’avancée des recherches sur la perception du monde par les aveugles, mettons en Écosse, via Tactus. Si c’est un livre en anglais, généralement, je le traduis moi-même. Pour les autres langues, on fait appel à un traducteur. Or, quand on vend 10 exemplaires de ce type de livres à l’année, on est content, mais si l’on a payé 200 pages de traduction… Mais ce sont ces écrits qui font progresser le travail avec les aveugles. C’est une quantité de travail astronomique mais qui n’est pas rentable. On ne peut pas faire ça dans une économie marchande » déplore M. Claudet. On en revient à l’économie solidaire…
L’ÉCOLE BUISSONNIÈRE
Avec tout cela, vous comprenez bien que Philippe Claudet n’a plus le temps d’aller en classe. En 2000, un « partenariat » est mis en place avec l’Éducation nationale qui déporte un poste d’instituteur au sein de l’association. « Mais en 2005, de Robien m’a remis en classe. Darcos m’a ensuite remis « à disponibilité » des Doigts Qui Rêvent mais cette disponibilité a de nouveau été supprimée par M. Chatel… » Un va-et-vient qui devient difficile à supporter. LDQR se porte bien malgré des fluctuations budgétaires. « On n’est pas un club de loisirs, on aimerait bien savoir sur quel budget on peut compter chaque année. On passe trop de temps à courir après l’argent. Au bout de 17 ans à faire des livres tactiles, on voudrait bien mettre toute notre énergie dans la qualité de ces livres et nulle part ailleurs. » Espérons que le Prix de l’économie solidaire répandra vite l’idée que les entreprises – même œuvrant dans des activités diamétralement opposées – peuvent s’entraider, pour peu qu’elles croient à un autre modèle économique que celui du profit à tout prix…
> Acheter des livres tact-illustrés sur le site des Doigts Qui Rêvent
> Voir la vidéo réalisée dans L’Atelier pour voir
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