Proust lu
Tome 4, page 105. Véronique Aubouy en est à l’épisode de « Sodome et Gomorrhe ». « L’un de mes volumes préférés », confie la cinéaste. « L’enregistrement d’un tome c’est 5 à 6 ans ! » Chaque nouvel épisode marque un tournant dans le film et dans la vie de sa réalisatrice. Et il lui reste encore 150 à 200 heures d’enregistrements et des milliers de pages pour achever la lecture vidéo de l’oeuvre de Proust.
Tout a commencé en 1993 et tout est parti de son amour incommensurable pour ce livre, aussi gigantesque que son projet à l’échelle d’une vie. Si son film est consacré à Marcel Proust, le lecteur en est le personnage principal. 905 lecteurs à ce jour ! Pour terminer « A la Recherche du Temps perdu », il faudrait encore 2000 volontaires d’ici 2050.
Pour la réalisatrice, la lecture enregistrée est un moyen d’échapper à la mort. « Certains participants du projet sont morts, d’autres ne sont pas encore nés et ils survivront au projet ».
« Proust lu » est un prétexte à la découverte aussi. Chaque semaine, armée de sa petite caméra, la réalisatrice va à la rencontre de nouvelles voix. Chaque lecteur doit lire 5 minutes du texte proustien à la première personne. Véronique Aubouy leur laisse la liberté de choisir le lieu de la lecture : un salon intimiste, l’espace de travail, une boutique, un parc, une étable ! « Le lieu en dit beaucoup sur le lecteur, puis il y a la voix, la façon de réagir au texte », souligne la réalisatrice. Elle apprécie aussi les fausses notes : « Les lectures à plat sont naturelles, elles permettent d’entendre le texte de Proust dans sa nudité. »
A travers Proust et ses lecteurs, le film devient une autobiographie sociale de la réalisatrice. « Tous les gens que je rencontre finissent dans mon film », raconte-t-elle amusée. On retrouve son entourage proche, amis et famille, puis les amis d’amis, les commerçants de son quartier, les lectures se suivent au gré des rencontres effectuées au coin de la rue ou lors de voyages lointains. Aujourd’hui, Véronique Aubouy ne filme presque que des personnes qu’elle ne connaît pas et qui se sont inscrites sur son site Internet.
Ce film qui s’allonge au fil du temps est projeté de temps en temps. « La dernière fois, c’était dans une salle des Lilas, raconte Véronique Aubouy, « La Recherche est un roman de nuit, écrit par un homme dans son lit, il est né d’un mélange entre le monde des rêves et la conscience. Alors j’aime montrer ce film la nuit à des gens qui sont allongés. » Cette fois-là, la projection a duré 30 heures d’affilée. « Les gens prenaient leurs habitudes, ils venaient voir un morceau, puis revenaient le soir ou le lendemain », poursuit la réalisatrice. Si « Proust lu » était projeté aujourd’hui le film durerait 4 jours !
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