Sept ans sans Julien Prunet
Journaliste radio non-voyant, curieux et talentueux, Julien Prunet est décédé le 28 mai 2002. Sept ans après son départ, ses amis ne l’oublient pas et se remémorent sa personnalité et son action. L’appréhension différente qu’il avait de son handicap a eu une véritable portée. Elle a inspiré plusieurs initiatives, notamment la création de nombreux restaurants dans le noir à travers le monde, la mise en place d’une bourse Julien Prunet au Centre de formation des journalistes (CFJ)… et aussi bien sûr de l’association Lire dans le noir.
Un rire franc, retentissant, à gorge déployée… Avant de disparaître il y a sept ans, Julien Prunet a laissé à ses amis le souvenir d’une bonne humeur contagieuse. Ou selon leurs propres termes, celui d’une « pêche », d’une « classe internationale ». Sa voix, son charisme, son talent, ont profondément marqué, souvent dès la première rencontre, les gens qui l’ont côtoyé, comme les auditeurs qui l’ont suivi à l’antenne de France Info. A la différence de son handicap visuel, que de nombreuses personnes ignoraient de l’autre côté du poste, on n’oubliait pas la personne qu’il était. « Avant d’être l’aveugle courageux, Julien était quelqu’un de très actif. C’est quelqu’un qui vivait. Il faisait ce qu’il avait envie de faire et avait une vraie présence. C’était aussi un brillant journaliste », affirme sa consœur Sophie Massieu.
Son talent venait de loin. « Julien a très tôt été intéressé par des sujets divers, notamment la géographie, sa grande passion. A l’école, nous avions un petit concours : c’était à celui qui avait la dernière actualité », se souvient Didier Roche, l’ami d’enfance rencontré à l’Institut national des jeunes aveugles. Curieux de tout, féru de lecture, de voyages, de sport, de cinéma, Julien Prunet aimait aussi la radio. Lucas Menget, son ami et camarade de promotion au Centre de formation des journalistes (CFJ), se rappelle les années d’études à ses côtés : « Il avait un talent évident. Il était bien meilleur journaliste que nous tous. Dès le début de la formation, son don pour la radio s’est ressenti. Ce qui a perturbé beaucoup de gens au début, c’est qu’il n’était pas un étudiant isolé. C’était le centre de gravité de la promo, tout tournait autour de lui, il occupait beaucoup l’espace. » Sophie Massieu a rejoint l’école peu après que Julien Prunet eut obtenu son diplôme. « Les étudiantes me sollicitaient : « Tu es une amie de Julien ? » Il plaisait à un nombre de filles incalculable. Bien que d’une autre manière, son charme opérait aussi sur les garçons », assure-t-elle.
En fin de première année, Julien Prunet a vécu une expérience décisive à Radio France. « Je l’ai accueilli en stage. Nous travaillions dans le même petit bureau. Au début, je l’ai vu comme quelqu’un avec un handicap visuel. Ensuite, il m’a fasciné. Il m’a rapidement demandé de pouvoir faire des enquêtes. Un jour, je l’ai laissé partir faire une interview, mais j’étais peu rassuré de l’imaginer seul, dans le métro, avec son Nagra. Puis au fil des mois je l’ai vu apprendre à monter ses bandes avec de plus en plus de maîtrise », raconte Jérôme Bouvier, alors directeur adjoint à la rédaction de France Culture. A la même époque, la numérisation a remplacé les bandes analogiques, lui facilitant le travail. En 1998, Julien Prunet est entré à la rédaction de France Info où il a impressionné ses collègues et sa direction. Pour le journaliste Hakim Kasmi également non-voyant, lui succéder n’a pas été évident. « Parce qu’il était très doué, il est devenu connu et reconnu. Quand j’ai commencé à travailler à Radio France quelques années après lui, j’ai eu les mêmes personnes pour me diriger. ça m’a mis une certaine pression au départ, j’avais peur d’être moins bon », explique-t-il.
Quoique ambitieux et travaillant pour sa carrière, Julien Prunet avait compris que son exemple profiterait à d’autres. Très vite, il s’est engagé au sein de l’association Paul Guinot pour les aveugles et les malvoyants. Avec Didier Roche et Fabrice Roszczka, aujourd’hui directeur général du restaurant Dans le noir à Paris, il s’est impliqué dans le lancement de ces dîners peu communs. « Nous avons monté ensemble le premier projet qui a vu le jour pendant l’été 1999, sous la forme d’un restaurant temporaire. Julien a fait partie de la première équipe de guide non-voyants. A l’époque, il y en avait un à chaque bout de table. Je peux dire que les gens assis à celle de Julien passaient un moment rare. Après le succès des deux premiers restaurants temporaires, nous avons continué à faire vivre le projet au sein de l’association. Aujourd’hui, il existe des restaurants dans le noir dans le monde entier. Julien était très fort pour mettre en relation les uns les autres et servir de passerelle. C’est lui qui avec d’autres gens m’a convaincu qu’il fallait militer pour une société pour tous », se remémore Fabrice Roszczka. Mais Julien payait de sa personne cette hyperactivité.
« Il faisait deux fois plus d’efforts que les autres mais ne le faisait jamais sentir et ne se plaignait jamais. Il fallait être très proche de lui pour qu’il se confie. Nous avons eu de longues discussions en voiture sur la cécité, quand nous partions en vacances en Bretagne et que nous refaisions le monde. Il disait : « Ce n’est pas parce que l’on est aveugle que l’on ne doit rien faire ». Ça a changé beaucoup de choses dans le milieu journalistique. Sa mort a été un traumatisme pour une rédaction toute entière. C’est quelqu’un qui me manque énormément au quotidien », confie Lucas Menget.
« Julien ne montrait pas trop ses faiblesses. Mais être constamment dans la performance, vouloir montrer qu’on n’est pas un handicapé, est difficile. Julien s’est lui-même imposé une course permanente. En réalité, il avait beaucoup de doutes sur son avenir professionnel. Je le poussais à aller au-delà de sa peur. Lui m’apportait son peps et sa vision des choses », raconte Didier Roche. « L’incroyable orgueil de Julien lui a fait faire des choses hors du commun. C’était une sorte de superhéros qui se blessait mais disait « Même pas mal » », résume Jérôme Bouvier.
Visiter le site du restaurant « Dans le noir? » de Paris
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