Un traité international pour favoriser l’accès aux livres
Le 28 juin dernier à Marrakech un traité historique a été adopté au sein de l’Organisation Internationale de la Propriété Intellectuelle (OMPI). En instaurant une exception au droit d’auteur, le Traité de Marrakech visant à faciliter l’accès des aveugles, des déficients visuels et des personnes ayant d’autres difficultés de lecture des textes imprimés aux œuvres publiées permettra une meilleure accessibilité à la littérature pour les aveugles. En effet, on estime aujourd’hui que seulement 5% de la littérature mondiale a été adaptée pour être lue par les déficients visuels. Une pénurie qui touche tout particulièrement les habitants des pays les plus pauvres. Nous avons rencontré David Hammerstein, qui suis ce dossier depuis de nombreuses années et qui était présent en tant qu’observateur lors des négociations de Marrakech.
Pourriez-vous vous présenter?
Je suis un ancien député européen pour l’Espagne. Je représente aujourd’hui le Trans Atlantic Consumer Dialogue qui est un forum qui réunit les organisations de consommateurs européennes et américaines.
Que s’est il passé à Marrakech ?
A Marrakech le 28 juin, un traité historique a été adopté au sein de l’OMPI. Il a déjà été signé par 51 pays et il a été approuvé par plus de cent états. Cet accord est historique parce qu’il place les droits de l’homme au-dessus du droit d’auteur. C’est la première fois qu’un traité international sur le droit d’auteur y apporte des limites.
Quelle est la nature de cette limitation ?
La limitation permettra une exception au droit d’auteur pour faciliter l’accès au livre de ceux qui ne peuvent lire les livres papier, dans ce cas spécifique il n’y aura pas de droit d’auteur à payer ni de royalties. Ce Traité s’appliquera dans le cadre d’activités non commerciales et pour la diffusion transfrontière de ces œuvres. Un exemple, les livres produits en France en braille ou en format numérique et destinés aux aveugles pourront être légalement diffusés en Afrique francophone, ce qui n’est actuellement pas le cas.
Ce Traité est tout particulièrement pertinent pour l’immense majorité des déficients visuels qui vivent aujourd’hui dans des pays en développement, où leur accès aux livres est très limité que ce soient les livres scolaires, les romans ou les livres professionnels. Il favorisera la circulation de ces livres autour du monde.
Quelles seront les populations bénéficiaires du Traité ?
Le traité est à destination des déficients visuels mais aussi des gens qui ont un handicap à la lecture comme les dyslexiques.
Qu’entend-on par« limitation et exception » au droit d’auteur ?
« Limitation et exception » veut dire que dans ces cas les droits d’auteur n’ont pas à être appliqués. Les bibliothèques utilisent déjà ce genre d’exceptions. Aux USA, il y a la notion de fair use, l’usage acceptable. Les gouvernements bénéficient aussi de ce genre d’exceptions pour des raisons gouvernementales.
Concrètement, comment peut-on être certain que ces livres n’auront pas d’utilisation commerciale ?
Leur circulation se fera par le biais d’organisations autorisées qui sont identifiées par le Traité comme par exemple : des organisations d’aveugles, des bibliothèques, des institutions publiques. Elles porteront la responsabilité de s’assurer de la non commercialisation des œuvres rendues accessibles.
La vérité c’est qu’il existe déjà des exceptions au droit d’auteur au sein de nombreux pays. C’est d’ailleurs le cas en France. Très peu de détournements commerciaux de ce droit ont été répertoriés, cette peur est, pour ainsi dire, infondée.
Une disposition sur les livres commercialisés a été abandonnée pourquoi ?
L’Union Européenne (UE) proposait que l’on ne puisse pas faire appel au Traité si le livre était accessible sous forme commerciale aux déficients visuels. Mais cette disposition n’était pas acceptable. Comment pouvons-nous définir ce qui est accessible quand certaines personnes n’auraient pas eu l’argent ou les outils informatiques appropriés pour accéder à cet ouvrage. Les choses seraient aussi devenues très compliquées d’un point de vue bureaucratique. C’est la raison pour laquelle nous avons combattu cette disposition.
Les dispositions de ce Traité semblent relever du bon sens pourquoi a-t-il fallu cinq années et des négociations très dures pour son adoption ?
De nombreux pays se sont opposés à l’adoption de ce Traité, la France y compris. Il y a deux raisons à cela. Les pays négociateurs subissaient des pressions de lobbys : les sociétés de gestion des droits d’auteur et les propriétaires des droits.
L’autre argument contre le Traité était qu’il établirait un précédent négatif affaiblissant le droit d’auteur et que les principes sousjacents à son adoption pourraient servir dans d’autres circonstances comme l’utilisation en bibliothèque ou l’accès aux publications scientifiques.
Pour cette raison, la campagne de lobbying contre l’adoption de ce Traité qui apportait un réel changement de l’approche du droit d’auteur a été très intense. Les principales forces de lobby ont été l’industrie du film, Hollywood et d’autres groupes appartenant à l’industrie et aux affaires. Ils estimaient que cette exception créerait un mauvais précédent. En soit ce traité ne leur fera pas perdre de l’argent mais c’est la première fois que l’on limite ainsi les droits de la propriété intellectuelle, d’autres viendront peut être.
Le Traité de Marrakech pourrait, par exemple, ouvrir la voie à des dispositions similaires en termes de santé publique. L’accès aux traitements est un des problèmes majeur auquel nous devons faire face aujourd’hui. Le système de brevet actuel implique que des millions de gens meurent. Nous pouvons penser que la logique qui a mené à l’adoption du Traité pour les aveugles pourrait être utilisée dans ce cas.
Quelle a été la réaction des éditeurs ?
Au bout du compte les éditeurs ont accepté le Traité mais je pense qu’ils n’étaient pas très contents de l’instauration de cette exception. Je pense, qu’au delà de ce traité particulier, le droit d’auteur est en crise au niveau planétaire parce qu’il n’est pas adapté à un monde numérique qui réclame plus de flexibilité. L’accès aux connaissances et à la culture devraient être plus aisé et une place devrait être faite pour le partage non commercial. Le Traité pour les aveugles est un exemple de ce qui pourrait être fait pour adapter les droits d’auteur à l’ère numérique. Autoriser le partage non commercial me semble tout à fait naturel dans un monde avec internet.
Maintenant que le Traité a été adopté, comment va-t-il devenir effectif ?
Je pense que la mise en œuvre de ce traité en est un aspect important. Nous espérons que dans les six mois à venir l’Union Européen lemettra en place. Heureusement l’Union Mondiale des Aveugles et les associations, qui ont mis en place des serveurs internet qui proposent des livres accessibles,ont prévu de faire un incroyable travail pédagogique pour expliquer comment ce traité pourrait être mis en œuvre par les états. Nous espérons aussi une aide la part de l’UE et de l’OMPI. Nous espérons que bientôt plus d’un million de ces livres en anglais seront diffusés au travers le monde sans aucune difficulté. Il en sera de même pour les milliers de livres en français, en espagnol…
Avez-vous autres chose à ajouter ?
Oui, je tiens à dire que nous aurions eu ce traité il y a bien des années, si nous n’avions pas été confrontés à l’approche excessivement rigide de deux gouvernements français successifs. Au sein de l’UE ils ont été les opposants les plus farouches au Traité parce que sur les questions de droit d’auteur la France est traditionnellement très conservatrice.
Il faut cependant reconnaitre qu’au cours des dernières années Michel Barnier, le Commissaire européen au Marché intérieur et aux Services, a fini par accepter l’idée d’un traité et a encouragé ses services à aller en ce sens.
J’ai aussi constaté que les parlements semblaient être plutôt favorables au Traité quand les exécutifs se montraient souvent réticents. C’était le cas au niveau européen. Je pense que dans un contexte de transparence les choses se seraient déroulées de façon très différente mais que pouvez-vous espérer quand les négociations se font derrière des portes fermées, comme c’est le cas pour la propriété intellectuelle.
Propos recueillis pas Pauline Briand
> Le blog en espagnol de David Hammerstein
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