Un livre audio pour l’exposition Hopper

A l’occasion de la mise en ligne gratuite d’un livre audio sur le peintre Edward Hopper par la Réunion des musées nationaux – Grand Palais , nous avons rencontré Stéphanie Merran, la Chargée de projets culturels public empêché, public éloigné, qui est à l’origine de cette initiative.

Pourriez vous nous présenter le rôle que vous jouez au sein de la  Réunion des musées nationaux-Grand Palais (Rmn-GP) ?
Je travaille à la Direction des Publics et du Numérique, en tant que Chargée de projets culturels public empêché, public éloigné, je conçois et mets en place des outils de médiation qui permettent de rendre le contenu plus intelligible ou accessible aux personnes en situation de handicap. Je travaille aussi pour faire entrer dans nos expositions les personnes éloignées de la culture. Pour les gens en situation de handicap visuel nous avons un vrai défi à relever puisque nous ne produisons quasiment que des expositions d’arts visuels.

En quoi a consisté votre travail sur l’exposition Hopper au Grand Palais ?
Au moment où je suis arrivée à la Rmn-GP, l’exposition Hopper était déjà finalisée. On imaginait bien que la fréquentation serait importante. Pour des questions de réalisation, d’espace et de confort de visite, il était difficile de faire quelque chose en salle pour les non-voyants.

Je connaissais l’initiative Livre audio solidaire de l’Association Valentin Haüy et je la trouvais très belle. J’ai alors eu l’idée de mobiliser les salariés en interne autour de l’enregistrement d’un livre audio sur Hopper. Cela permettait de leur faire connaître notre travail et de les sensibiliser aux questions d’accessibilité. A la Rmn-GP, nous voulons que l’accueil du public soit l’affaire de tous, ce projet amorce une réflexion dans la durée.

La question du support s’est rapidement posée. Nous sommes aussi une maison d’édition, j’hésitais entre deux ouvrages sur Hopper. Un recueil de nouvelles en lien avec le travail du peintre, mais ce projet était trop compliqué à mettre en œuvre pour des questions de droits. Nous nous sommes donc décidés à enregistrer l’Album édité pour l’exposition qui présente neuf tableaux de Hopper et propose une approche thématique de son œuvre. Didier Ottinger,  commissaire de l’exposition et auteur de l’ouvrage, s’est montré très enthousiaste.

Comment avez vous adapté le livre pour le passage à l’audio ?
Le texte a une véritable légitimité scientifique. Il fait énormément référence à la littérature et au cinéma, ce qui le rend plus accessible aux non-voyants puisqu’il y est question d’environnements historiques et culturels très identifiables, mais aussi d’ambiances et de textures. Si nous en avions eu le temps, nous l’aurions remanié pour en faciliter la lecture orale.

Didier Ottinger a écrit l’introduction du livre qu’il est venu enregistrer ici-même. Il nous a laissé libres sur la manière de créer le livre audio.

Le livre nécessitait que l’on décrive les toiles présentées, ce travail s’est révélé beaucoup plus difficile que nous ne l’avions anticipé avec les deux conférencières mobilisées pour l’occasion. Il nous a fallu établir comment décrire ces œuvres de façon concise et pertinente. Un audio-descripteur nous a donné un protocole pour nous guider. Il nous a assisté dans l’apprentissage de l’audiodescription.

Pourquoi avoir fait appel à Caroline Cartier ?
J’ai réalisé qu’une ambiance sonore devait accompagner les tableaux. Caroline Cartier intervenait déjà sur l’exposition Hopper. Elle est allée sur les traces d’Edouard Hopper aux États Unis pour capter des sons. Ce sont ces sons que vous retrouvez dans l’enregistrement. Je trouve ça très poétique.

Caroline Cartier a immédiatement adhéré au projet de livre audio sur Hopper. Elle m’a livré neuf pastilles sonores qui au début devaient accompagner les descriptions. Ensemble, nous avons trouvé plus intéressant de les faire tourner en boucle sur les enregistrements pour créer une  ambiance, une épaisseur, rendre les tableaux vivants.

Comment avez fait participer les salariés de la Rmn-GP ?
Au départ, nous voulions mobiliser l’ensemble des salariés de la Rmn-GP. Nous sommes 1 200 éparpillés sur toute la France avec des métiers très diversifiés, cela aurait été l’opportunité de partager une action. Mais j’ai réalisé que pour ce projet à tout petit budget, nous n’avions pas la possibilité faire se déplacer les gens pour ½ heure d’enregistrement. Nous avons donc fait appel aux 400 salariés du siège parisien.

Nous avions besoin de 52 voix pour lire l’intégralité du livre. J’ai fait une vidéo que nous avons diffusé en interne pour mobiliser les 400 salariés du siège. A ma grande surprise, les 52 créneaux ont été distribués en un clin d’œil. Nous avons même du créer une liste d’attente en cas de désistement, mais il n’y en a pas eu. Chaque inscrit a reçu son texte. Les lecteurs sont arrivés très préparés. C’était touchant de voir la manière dont les participants se sont impliqués dans ce projet.

> Regarder la vidéo

Nous avons pris trois jours pour enregistrer l’intégralité des pistes. Deux comédiens étaient là pour coacher les lecteurs et chauffer leur voix. Un ingénieur du son est venu enregistrer dans nos locaux. Il s’est occupé du montage. Mi-décembre, nous avons posté le livre audio sur notre site internet.

Pour vous, quel est le bilan de cette première expérience ?
L’initiative en elle-même a reçu beaucoup de commentaires positifs, et nous avons atteint les 3057 téléchargements. J’espère que les auditeurs me donneront leur avis sur le contenu.

Nous n’avons eu besoin que d’un petit budget puisque le livre s’est fait en interne. L’initiative s’est montée très vite et nous ne nous attendions pas à un tel engouement auprès des équipes du RMN-GP qui y ont participé. Ces premiers résultats positifs sont très encourageants puisque mon poste a été créé il y a moins d’un an et que de nombreuses institution culturelles n’en ont pas encore d’équivalent.

Au fur et à mesure de la réflexion, beaucoup de voyants m’ont dit que le projet les intéressait. Nous nous sommes aperçus que des voyants fan de Caroline Cartier, passionnés de Hopper ou qui ne pouvaient pas assister à l’exposition, téléchargeaient le livre. Ces personnes se sont laissées intriguer.

J’aimerais que ce livre donne envie à ces auditeurs d’aller voir l’exposition qui se poursuit jusqu’au 3 février. J’aimerais que les voyants et non-voyants puissent se rencontrer sur ce terrain là et discuter de l’œuvre d’Hopper. La récompense pour nous serait que les non-voyants viennent à l’exposition accompagnés de voyants qui peuvent leur décrire les œuvres. Pour nous « réussir », c’est que les non-voyants se sentent une légitimité à aller dans les salles d’exposition.

Pensez vous que ce projet de livre audio est reproductible ?
Je pense que Hopper se prête particulièrement à cet exercice parce qu’il existe un fort lien entre son art et le cinéma sonore. La parole et les pastilles sonores lui sont donc adaptées.

J’adorerais réitérer cette expérience. Plusieurs personnes nous l’ont déjà demandé, mais j’estime que le recours au livre audio doit être un choix pertinent en fonction de l’exposition. Nous souhaitons systématiser notre travail d’accueil des publics handicapés mais cela ne passe pas par la systématisation du livre audio.

Une des prochaines étapes sera un travail de sensibilisation du personnel d’accueil des lieux d’exposition, pour anticiper l’augmentation de notre public handicapé, et leur conseiller d’adopter un comportement décomplexé à son encontre.

Dans le futur, nous pourrions imaginer travailler sur des projets d’accessibilité avec les artistes, mais pour cela il faudrait créer une relation privilégiée avec certains d’entre eux. Il y a un réel travail pédagogique à faire auprès des milieux artistiques où ce genre d’engagement est encore peu répandu.

Informations pratiques
> Télécharger le livre audio sur Hopper

L’exposition Hopper se poursuit au Grand Palais jusqu’au 3 février 2013.
Du samedi 26 au jeudi 31 janvier : de 9h à 23h
Puis jour et nuit du vendredi 1er février 9h au dimanche 3 février 23h
A partir du 29 janvier 2013, la gratuité pour les moins de 13 ans sera étendue aux moins de 16 ans.

Grand Palais
3 avenue du Général Eisenhower
75008 Paris
Entrée : Square Jean Perrin

Métro : Franklin-Roosevelt ou Champs-Élysées-Clemenceau.
Bus : lignes 28, 32, 42, 72, 73, 80, 83, 93
Stations Vélib’ n° 8029 et 8001