Olivier Chaudenson : Imaginer une « Scène Littéraire »
Chaque automne, le festival des Correspondances de Manosque propose une riche programmation de lectures et manifestations littéraires. Présente tout au long du festival, Lire dans le noir s’est associée l’an dernier aux Correspondances en organisant des rencontres avec plusieurs auteurs. Alors que le festival s’apprête à fêter dix ans d’existence, Olivier Chaudenson, son directeur, partage avec nous ses projets d’avenir…
Comment est né le festival des Correspondances de Manosque ?
Lorsqu’on a créé les Correspondances avec Olivier Adam en 1998, on s’est dit : « Faisons le festival littéraire dont on aimerait être les spectateurs. » Il s’agissait tout d’abord d’inviter les auteurs qu’on aimait et pour les bonnes raisons. Cela induit une notion de programmation, de choix et non pas d’alignement comme dans un salon du livre. Notre deuxième objectif était de faire entendre les textes et donc de privilégier les exercices de lecture en allant parfois plus loin vers des lectures performances. C’est une dimension supplémentaire qui consiste à mettre en regard un texte avec celui d’un autre auteur ou bien de la musique, une projection de photos, de la vidéo… On a ensuite réfléchi à l’éventuelle utilisation de « passeurs », c’est-à-dire des comédiens, des musiciens, des chanteurs qui vont s’adresser à un autre public qui vient sur le nom ou la notoriété de l’artiste, un public qui découvre qu’on peut aussi entendre la littérature.
Comment donner de la place à de tels événements littéraires ?
Je n’ai pas de recette et encore moins de leçons à donner. Ce que j’ai envie de faire je l’expérimente aux Correspondances et je vois que cela fonctionne. Mais chacun a son inventivité, sa façon d’envisager la médiation, la programmation. Ce pour quoi je milite c’est la professionnalisation des événements littéraires, notamment à travers un réseau qu’on a créé : « le Réseau des Evénements Littéraires de Création ».
Quand on a lancé Manosque il y a dix ans il existait principalement des salons et des foires du livre et à mon avis ce modèle est complètement obsolète et assez stérile aujourd’hui. Nous militons pour que les événements littéraires deviennent aussi inventifs que le sont les festivals de musique et de théâtre. Et que chaque organisateur se pose les questions nécessaires : Comment s’adresser à un nouveau public ? Comment être professionnels ?
Avez-vous déjà des réponses à ces questions ?
Etre professionnel c’est choisir un auteur parce qu’on l’a lu et qu’on a envie de le défendre. Et si on l’invite pour autre chose que la promotion de son livre on s’engage à le rémunérer. De même si on organise un débat on demande à quelqu’un dont c’est le métier de venir l’animer et on s’engage aussi à le rémunérer. Et puis il faut aussi pouvoir proposer ces événements dans un lieu adapté. Un lieu comme un petit théâtre de 200-300 places pourrait accueillir des lectures simples, des lectures performances, mais aussi des débats et des rencontres. Car c’est finalement très fastidieux d’écouter un auteur dans le cadre d’une librairie. Un nouveau lieu dédié à ce genre d’exercice permettrait à l’auteur de travailler sa lecture et au public d’écouter avec tout le confort nécessaire. On pourrait imaginer une « Scène Littéraire » qui aurait un fonctionnement beaucoup plus vif que celui d’un théâtre. Chaque jour une lecture, parfois deux événements par jour avec des petites productions qui se succèderaient et donc une économie très légère. Ce serait un lieu vraiment dédié aux auteurs pour qu’ils transmettent leurs textes dans de bonnes conditions.
Avez-vous déjà avancé dans la concrétisation de ce projet ?
Pour l’instant il s’agit d’un projet qui n’existe que sur le papier, mais qui sédimente depuis plusieurs années, avec la conviction qu’il serait utile aux auteurs. Les éditeurs à qui j’en parle trouvent également l’idée intéressante. Ils sont aussi en demande d’un tel lieu. Maintenant sa réalisation dépend également de soutiens en termes de politique culturelle de la ville, de la région, de l’Etat…
Nous avons récemment rédigé une tribune dans Libération pour marquer un peu une étape dans l’avancement du projet, tout en mettant l’accent sur l’acquis des Correspondances et d’autres festivals : ce type d’événements attire un public et suscite des désirs du côté des auteurs. C’était aussi un moyen de mobiliser les scènes nationales et les grands théâtres pour que chaque année ils accueillent des lectures d’auteurs. On pourrait par exemple imaginer de présenter des textes inédits, des extraits d’ouvrages prévus pour la rentrée littéraire en avant-première…
Dans Libération, vous dites qu’ »il faut « resacraliser » les auteurs »… Est-ce que le rôle de la lecture publique n’est pas plutôt celui de désacraliser la littérature justement, en la mettant à la portée de tous ?
C’est une formulation ambiguë qu’il faut nuancer, en tout cas expliquer. Actuellement, il y a une telle multiplication d’événements littéraires de toutes sortes que l’auteur fait des tournées à rallonge dans les bibliothèques, les médiathèques, la fête du livre, les salons… Et à un moment ces interventions ont tendance à affadir sa parole. C’est bien que l’auteur aille à la rencontre de son lectorat, mais il faut choisir les endroits où il se montre. Je pense qu’il ne faut pas trop galvauder sa parole et privilégier les lieux où il y a une réelle valeur ajoutée, artistique ou intellectuelle.
« Resacraliser », c’est aussi mettre en valeur les grandes plumes contemporaines, contribuer à les remettre en scène et aider le public dans sa lecture de la littérature française telle qu’elle est aujourd’hui. Il faudrait attirer l’attention en disant : « Attention, là vous avez à faire à une œuvre en train de se construire, à quelqu’un d’important et qui probablement le restera dans les décennies à venir. » Les critères sont bien entendu subjectifs, comme on est obligés de le faire dans le domaine artistique. Mais je crois que si on réfléchit entre personnes qui travaillent dans ce domaine, on peut très vite arriver à un consensus sur un certain nombre de noms. Le premier qui me vient à l’esprit par exemple serait Antoine Volodine. J’avancerais volontiers que c’est un grand auteur. Et je ne pense pas que beaucoup de gens me diront le contraire. Pareil pour Pierre Michon, Jean Rolin, Annie Ernaux… « Resacralisons » ces auteurs, c’est-à-dire pointons du doigt intelligemment ceux qui, à notre sens, font une œuvre qui risque de rester. Ceux qui ont une voix singulière, forte.
Vous dites aussi qu’il faut faire parler l’œuvre et non parler sur l’œuvre… redonner la parole à la littérature elle-même.
A force de répondre aux mêmes questions la parole se stérilise, devient de moins en moins vive et intéressante. Quand on regarde les plateaux de télévision, on constate que l’œuvre est très volontiers contournée au profit de débats pseudo-politiques ou pseudo-sociaux : « Vous évoquez la Ve République dans votre livre, alors que pensez-vous de De Gaule ? ». Et finalement on ne parle pas du tout du livre. L’idée est toute simple : il faut revenir au texte et donner à entendre la voix de l’auteur à travers son texte.
Il s’agirait de faire entendre le texte mais aussi de le protéger, le conserver…
Il faut enregistrer un maximum de documents. Car c’est toujours nécessaire, toujours utile d’archiver. On ne sait pas ce qui nous intéressera dans dix ou vingt ans. Donc archivons !
Il faut aussi enregistrer pour diffuser. C’est ce que nous allons faire en partenariat avec le site Archivox. Les gens qui n’étaient pas aux Correspondances pourront ainsi écouter une partie des lectures sur Internet.
Mais il s’agit aussi d’enregistrer pour publier certains moments uniques. Pour les dix ans des Correspondances (en septembre prochain), j’avais pensé à deux choses : Tout d’abord réfléchir à des liens particuliers entre musique et littérature en proposant à des chanteurs, des musiciens de mettre en musique des auteurs, sur des formats relativement courts. On en ferait une série de lectures musicales qui pourrait donner lieu à une publication. Et puis une deuxième piste de travail serait de publier certaines lectures de grands comédiens dans une collection de livres audio. Par exemple j’aimerais beaucoup publier la lecture de La nuit sera calme de Romain Gary par Jacques Gamblin qui a eu lieu l’année dernière aux Correspondances. Certaines lectures ont été particulièrement travaillées et recourent à des comédiens qui ont une certaine notoriété. Lorsqu’il s’agit en plus d’un auteur qui a un lectorat assez large, l’opération devient tout à fait viable économiquement. On sait que le marché du livre audio est encore très pointu en France. Mais les verrous culturels et économiques vont certainement sauter et théoriquement le marché français ne devrait pas tarder à ressembler à celui de ses voisins. Cela ouvre des perspectives pour la lecture à voix haute.
Propos recueillis par Daphné Kauffmann
Retour sur les Correspondances 2007
Lire l’article d’Olivier Chaudenson et Bernard Comment paru dans Libération
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