Un mois en compagnie de Peter Pan
Octobre, c’est le mois des feuilles mortes. À Lire dans le noir, nous les avons ramassées pour s’en faire un costume propice à glisser sur le dos du vent avec Peter Pan. La présence du texte intégral du roman de James Matthew Barrie dans la première sélection du Prix Lire dans le noir 2011 était bonne raison de nous faire remarquer les différentes adaptations de l’histoire du garçon qui ne voulait pas grandir dont les sorties ont jalonné le mois d’octobre. Retour sur cinq voyages au Pays Imaginaire.
Enfant, j’avais cette cassette qui racontait l’histoire de Peter Pan. Une histoire que tout le monde connaît, ou croit connaître, sans forcément prêter attention au fait qu’il s’agit d’une adaptation d’un roman de James Matthew Barrie publié en 1911.
Quelques années après la découverte de Peter Pan sur cassette est sorti le film de Spielberg, Hook ou la revanche du Capitaine Crochet, que nos instituteurs nous avaient emmenés voir au cinéma. Robin Williams y campe un Peter Pan devenu vieux et bien sérieux. Dustin Hoffman, un Capitaine Crochet fort distingué qui oblige Peter à revenir au Pays Imaginaire pour délivrer ses enfants. Mais ce que cherche vraiment le pirate, c’est un combat digne de ce nom avec le seul adversaire à sa taille. Alors que le film peut se jouer du texte original à sa guise puisque l’histoire se déroule à notre époque et que le récit se situe après celui rapporté dans le roman de Barrie, il le respecte peut-être plus que nombre de versions du roman adaptées pour les enfants, du moins concernant la place accordée au Capitaine Crochet (selon le titre, c’est lui le personnage principal). Car nombreuses sont les versions qui règlent son cas au flibustier en deux coups de cuillère à pot…
PETER PAN, LA COMÉDIE MUSICALE DE GUY GRIMBERG
Mais revenons à Peter Pan. Quand on se rend au Théâtre Bobino au début du mois d’octobre, son histoire est un vague souvenir : trois enfants dans une chambre qui reçoivent la visite d’un petit garçon qui ne veut pas grandir et qui leur apprend à voler, un Pays Imaginaire lointain peuplé de pirates et de peaux-rouges, un crocodile qui fait « tic-tac », des parents morts d’inquiétude après la disparition de leur progéniture par la fenêtre, les fugueurs qui choisissent finalement de rentrer et donc de grandir…
La comédie musicale de Guy Grimberg lancée au théâtre près de la Gare Montparnasse le 1er octobre est un excellent point de départ pour se rafraîchir la mémoire. Les épisodes sont dans l’ordre. Mr et Mme Darling bordent leurs trois enfants Wendy, John et Michael, avant de partir au théâtre. Durant leur absence, Peter Pan fait irruption dans la chambre à la recherche de son ombre. Wendy la lui recoud et, après quelques compliments et un échange de baisers (en fait un dé à coudre contre un gland), elle embarque ses frères à la suite de Peter, direction le Pays Imaginaire. À leur arrivée sur l’île, la fée Clochette (présente dans la comédie seulement par un son de clochettes) joue un vilain tour à la petite fille en sommant les Enfants Perdus de « tuer le Wendy », soit disant sur ordre de Peter Pan. Wendy à terre, Peter répudie Clochette et commande un docteur. Ficelle (un des Enfants Perdus) se déguise et guérit la jeune fille qui a échappé à la mort grâce au gland de Peter accroché à la chaîne qu’elle porte autour du cou. On lui construit une cabane pour lui permettre de se reposer. À son réveil, elle accepte d’être la mère de tout ce beau monde. Direction la Maison Souterraine, repère des Enfants Perdus pour une histoire avant l’extinction des feux. Le lendemain, Peter amène Wendy au Lagon des Sirènes. Ils tombent sur deux pirates qui ont enlevé Lili la Tigresse, fille du Grand Chef peau-rouge. Peter imite la voix de leur chef, le Capitaine Crochet, et leur ordonne de la libérer. Surpris, ils s’exécutent quand même de peur d’être éventrés. Arrive le véritable Crochet qui demande qui est cet esprit. Peter Pan sort de sa cachette et le combat s’engage. Peter est blessé mais sauvé par l’arrivée du crocodile qui met Crochet en fuite. Mais il est trop faible pour voler ou nager et la mer monte dangereusement, prête à recouvrir le Rocher des Naufragés sur lequel Wendy et lui ont trouvé refuge. Un cerf-volant passe par là, Peter y attache Wendy et reste seul sur le rocher mais est sauvé par des sirènes. À son retour au camp des Enfants Perdus, il tombe sur les peaux-rouges venus lui témoigner sa gratitude en proposant de monter la garde devant les troncs creux servant d’entrée à la Maison Souterraine. C’était sans compter la ruse du Capitaine Crochet qui déroge aux règles de guerre qui veulent que les peaux-rouges attaquent toujours les premiers. Les indiens sont décimés et les pirates enlèvent les enfants qui, après avoir entendu l’histoire nostalgique de Wendy à propos de leur ancienne vie chez les Darling avaient décidé de rentrer. Crochet ayant découvert comment se glisser à l’intérieur de la Maison Souterraine verse du poison dans le médicament de Peter pendant son sommeil. Mais c’est Clochette qui se sacrifie et le boit au réveil de son chef. Pour la sauver, il faut qu’un maximum d’enfants témoignent de leur croyance pour les fées (effet garanti dans la salle où les enfants crient « ouiiiiiiii ! » quand Thibaut Boidin qui joue Peter demande : « croyez-vous aux fées ? »). Clochette tirée d’affaire, Peter peut se glisser en cachette dans la cabine du Jolly Roger, le bateau pirate, et décimer les sbires de Crochet un à un, jusqu’au combat ultime avec son ennemi juré, Jack Crochet, qui tombe à l’eau, dans la gueule du crocodile qui le poursuivait depuis qu’il avait goûté au morceau de bras du Capitaine coupé par Peter Pan et depuis remplacé par un crochet acéré. Les enfants s’emparent du navire et font cap vers la maison des Darling pour ramener Wendy, John et Michael à leurs parents éplorés. La joie de revoir leur progéniture sera accompagnée de la joie d’adopter six Enfants Perdus. Peter, lui, s’en retourne au Pays Imaginaire.
Si l’histoire – qui nous revient en mémoire – est respectée, on peut noter une petite originalité avec l’emploi de John, adulte, comme narrateur. La mise en danse et musique fait elle aussi preuve d’une belle originalité puisque tous les genres (chanson, country et même rap) sont au rendez-vous. Seul petit bémol : les filles / femmes (Wendy et sa mère) ont des rôles un peu subalternes de bonnes mères au foyer.
Pratique :
Peter Pan de Guy Grimberg au Théâtre Bobino, 20, rue de la Gaïté, Paris 14e, jusqu’au 2 janvier 2012.
Réservations au 08 2000 9000 ou sur billetterie@bobino.fr
Tarif : de 22 à 37 €
PETER PAN ET WENDY, TEXTE INTÉGRAL DE JAMES MATTHEW BARRIE © SONOBOOK
Cependant, il ne faut pas oublier que le texte original – dont la version enregistrée aux éditions Sonobook fait état en un peu plus de 5 heures dans une traduction entièrement revue par Patrick Meadeb, directeur des éditions – date de 1911. Wendy et sa mère y sont donc valorisées en tant que bonnes femmes au foyer. Au Pays Imaginaire, une fois les enfants couchés après la traditionnelle histoire, Wendy coud « pour souffler un peu ». Elle profite du couvre feu pour repriser les chaussettes, premier rôle qu’on lui confie en tant que mère… On a connu mieux comme passe-temps…
Cependant, le texte de J.M. Barrie est jalonné de commentaires de la part du narrateur, tels que « permettez-nous de révéler que Wendy tomba un instant sous le charme de Crochet… » S’ils vont souvent à l’encontre des personnages féminins (« mon pouvoir d’auteur pourrait me permettre de prévenir les Darling du retour de leurs enfants mais Mme Darling m’accuserait de priver les enfants de 10 minutes de joie. Cette femme n’a pas de caractère, je la dédaigne pour ça. »), ils révèlent parfois la tendresse de l’auteur pour la (sa ?) mère (« certains auditeurs vont préférer Peter ou Wendy mais moi, c’est elle (Mme Darling) que je préfère »)…
Ceci dit, les enfants en prennent aussi pour leur grade dans le conte de J.M. Barrie qui n’hésite pas à les traiter de « petits égoïstes ». Peter Pan y est présenté comme « le plus grand des crâneurs » et une sorte de tyran qui se croit supérieur, non seulement aux adultes, mais aussi aux autres enfants. Barrie le fait même tuer et remplacer les Enfants Perdus quand ils deviennent trop grands (d’où la variété de leur noms dans les différentes adaptations ?)
Bref, la version originale est bien moins merveilleuse que les adaptations auxquelles nous sommes souvent habitués.
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MICHEL GALABRU RACONTE PETER PAN © EPONYMES JEUNESSE
Exemple avec Peter Pan lu par Michel Galabru (qui dit « Oindi » au lieu de Wendy) sorti mi-octobre aux éditions Éponymes. Là, les enfants ont des voix de dessin animé et on confond Crochet avec le Capitaine Haddock (« Mille millions de mille sabords » lui fait-on dire !) L’histoire, expédiée en 25 minutes, fait fi du « meurtre » de Wendy, de l’épisode du Lagon et des peaux rouges.
À peine arrivés au Pays Imaginaire, Wendy et ses frères sont enlevés et amenés au bateau. Mais Peter Pan arrive immédiatement et se débarrasse du vilain Capitaine Crochet d’un simple croche-pied qui le fait basculer dans le ventre du crocodile avant même que le reste de son équipage n’ait eu à se battre. Cette adaptation n’est qu’un prétexte à des chansons qui ressemblent à des jingle de publicité et ne conviendra qu’aux plus petits.
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PETER PAN & WENDY © DIDIER JEUNESSE
Plus intéressante est la version publiée par Didier Jeunesse fin octobre. L’adaptation prend là aussi des libertés du fait d’une courte durée (40 minutes environ) : Crochet meurt après l’épisode du Lagon en tombant du Rocher des Naufragés directement dans la gueule du crocodile, Peter et Wendy sont sauvés par la fourbe Clochette et les peaux rouges sont vainqueurs des pirates.
Mais le livre-CD possède son identité propre qui lui confère un statut de « conte moderne ».
1) les illustrations d’Ilya Green faites de collages de dessins crayonnés sur des « papiers peints » créent un univers visuel nouveau, propre à cette adaptation.
2) La musique signée Charles Mingus signale élégamment le temps qui passe, initie le jeune auditeur aux joies du jazz et dialogue idéalement avec la voix du narrateur (Éric Pintus). On soulignera, par ailleurs, que le choix d’une seule voix est assez judicieux pour éviter la voix de bébé souvent attribuée à Michael ou celle, zozotante, des Enfants Perdus particulièrement agaçante dans la version intégrale de Sonobook.
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PETER PAN © EPONYMES JEUNESSE, 2003
On déplore tout de même l’absence de considération pour le Capitaine Crochet dans ces deux adaptations automnales. Mais les éditions Éponymes avaient déjà tiré leur épingle du jeu avec leur version de 2003.
Là, en 75 minutes, Francis-Olivier Scaglia rend assez justice au texte original. Quelques petites absurdités de James Matthew Barrie sont conservées : la nounou de Wendy, John et Michael est une chienne terre-neuve du nom de Nana, Mr Darling, en guise de punition pour la disparition de ses enfants, prendra sa place dans la niche tant que les enfants ne seront pas revenus, Mouche, le second de Crochet, s’appelle « Smee » et essuie ses lunettes avant son arme après un meurtre…
Mais surtout, le Capitaine Crochet retrouve son élégance ténébreuse en habit NOIR et non dans ce manteau rouge aux boutons d’or que l’on a pris pour habitude de lui faire enfiler. Car, dans le texte original, il est habillé comme le roi d’Angleterre Charles II à cause d’une vague ressemblance qu’on lui a prêtée avec un Stuart dans une vie antérieure. Le Capitaine se voit également réattribuer son accessoire de dandy : un fume-cigarette de sa conception permettant de consommer deux cigares à la fois. Il retrouve également sa voix profonde et gutturale qui fait défaut aux trois autres livres audio. Mais surtout, surtout, il est dépeint comme un être torturé et complexe. Plus complexe que le manchot belliqueux qui cherche à se venger de Peter Pan quand bien même il préfère son crochet acéré à sa main gauche de chair…
Dans la version d’Eponymes, Crochet est obsédé par les bonnes manières du fait d’une éducation reçue dans une école privée renommée et il est agacé par l’élégance de Peter Pan qui fait oublier les règles de la bienséance à un homme aussi distingué que lui. Dans la version originale, c’est l’assurance de Peter Pan qui hante le Capitaine Crochet « comme un lion qui apercevrait un moineau entre les barreaux de sa cage »… Dans les deux cas, Crochet est mélancolique après sa tentative d’empoisonner Peter Pan pendant son sommeil. A-t-il eu la bonne attitude ? Il meurt en tout cas glorieux après avoir reçu le coup de grâce de Peter : un peu cavalier coup de pied pour le faire basculer hors du bateau… « Mauvaise attitude ! » s’écrie-t-il avant de tomber pour mourir en paix.
À plusieurs reprises dans le récit original, J.M. Barrie soulignera « sans vouloir le défendre », l’intelligence et l’esprit vif de Crochet. Et, malgré (ou peut-être avec) sa cruauté, avec sa mélancolie, sa recherche de la bonne attitude et ses déprimes chroniques, le Capitaine Crochet est sans doute le personnage le plus profond et l’âme la plus humaine de l’histoire. Surprenant, non ?
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Marie Gallic