Fête du livre à Radio France : la rencontre des passionnés d’histoires à écouter
>Le dernier week-end de novembre, des centaines de lecteurs étaient conviés dans le temple des auditeurs : la maison de la radio, dans le 16e arrondissement de Paris. À l’occasion de la cinquième édition du festival « Radio France fête le livre », chacun était invité à déambuler dans le « Foyer Seine » de l’imposante battisse circulaire, entre deux rangées d’auteurs en pleine séance de dédicaces.
Niché au milieu des piles de livres peuplant cet espace à la vue imprenable sur le fleuve, un petit stand détonne. Ici pas d’ouvrage relié ou de caractères imprimés mais un étal de CDs sur lequel trône un solide casque audio relié à une tablette. Ici on propose aux lecteurs « d’offrir un livre à ses oreilles ». Nul doute, ici aussi, au milieu des livres audio, le thème du week-end est respecté.
« Si c’est un homme avec la voix de Raphaël Enthoven, vous l’avez écouté ? C’est superbement lu, je vous le conseille ». Entre adeptes d’histoires à écouter les conseils fusent. Ici, comme sur les quelques 200 stands alentours on parle abondamment littérature. Jacqueline, ancienne journaliste de France Culture et bénévole historique de Lire dans le Noir commente le succès du titre Chagrin d’école, le numéro un des ventes de ce samedi après-midi. « Qui n’aime pas Pennac ? Et lorsque que l’on précise aux visiteurs que l’auteur lui-même lit son texte, l’argument fait mouche ». Un heureux acquéreur du best-seller confirme : « La voix nous donne le sentiment d’une relation privilégiée avec l’écrivain. »
À leurs côtés, Jean-Louis, qui a rejoint l’association quelques mois auparavant, évoque ses dernières écoutes avec passion. La promesse de l’Aube, de Romain Gary l’a particulièrement touché. « Ici vous avez la première génération de bénévoles la relève », lance Jacqueline dans un sourire. Comme elle, Jean-Louis fait partie de la soixantaine de personnes qui font vivre l’association sur leur temps libre. Pendant tout ce week-end dédié au livre une dizaine d’entre eux se relaient par tranche de trois heures pour transmettre leur goût de l’écoute à cette assemblée peuplée d’amoureux de littérature.
Sur le stand d’en face, deux comédiennes, Catherine Jacob et Guila Clara Kessons, partagent cette mission aux côté d’Isabelle Lecerf Dutilloy qui vient de publier Chouchou voyage encore, un livre audio jeunesse sur Debussy. « On a choisi d’inviter des comédiennes car des auteurs, il y a en déjà quelques uns ! », explique à renfort d’euphémisme Stéphane Devernay, le président de Lire dans le Noir en désignant les stands voisin.
Une auditrice s’approche de celui de Guila Clara Kessons attirée par la pochette renfermant le témoignage de Malala Yousafzai, jeune militante pakistanaise du droit des femmes. « Celui là j’ai adoré, j’écoute beaucoup de livres audio, en faisant le repassage, le jardin… En ce moment c’est le quai de Ouistreham de Florence Aubenas », partage-t-elle avec un léger accent espagnol avant de lever le regard sur la jeune femme installée derrière les ouvrages. « Alors c’est vous la voix ? Vous êtes journaliste ? Écrivaine ? » « Comédienne », répond celle qui délivre aussi le cours « Théâtre et droits de l’homme » à Harvard et Sciences Po Paris. « Je m’en doutais ! » s’exclame la visiteuse. « Quand j’ai commencé les livres audio, pour apprendre le français, c’était tellement monocorde… aujourd’hui c’est vivant, je me doutais bien que c’étaient des comédiens ». S’en suit un échange curieux et amical. « Et l’enregistrement vous a pris combien de temps ? » « Cinq jours, à raison de 6 heures par jour mais avec des pauses, des respirations ». La discussion est lancée. Entre les deux femmes une complicité s’installe.
« Il y a une connivence et une proximité incroyable avec les auditeurs, reconnaît Guila Clara Kessons. Parce qu’ils vous connaissent par la voix, qu’ils ont passé jusqu’à six heures parfois dix avec vous », explique la jeune femme qui a aussi prêté sa voix à La Nuit, le texte de Elie Wiesel dédié à la Shoah. Quelques mois après le décès du Prix Nobel de la paix, la comédienne rend ainsi hommage à celui qui fut son directeur de thèse. « Je me dis qu’en faisant vivre ce témoignage dans une autre forme que l’écrit on lui donne encore plus de chance de perdurer », glisse-t-elle. En anglais ou en Français, des textes d’Hélène Berr à ceux d’Amélie Nothomb, la jeune comédienne enregistre régulièrement des livres audio. Le tout avec entrain et conviction. « Ça demande d’adopter une autre approche, d’accepter de se mettre en retrait, de ne pas être applaudie, confie la lectrice professionnelle. J’y vois aussi un enjeu d’accessibilité, pour des raisons de handicap, ou à destination de personnes qui ont plus de facilités avec la transmission orale », souligne-t-elle.
Pour d’autres encore c’est le rythme effréné du quotidien qui les éloigne de la lecture. Tandis que Guila Clara Kessons poursuit ses dédicaces, juste en face, sur le stand tenu par Jean-Louis, deux livres audio viennent de trouver preneurs. Chagrin d’école part dans les mains de Christine. Vincent, son conjoint, a choisi C’était bien de Jean d’Ormesson, parrain du prix Lire dans le Noir du livre audio. Le couple travaille dans l’import-export et passe une partie de sa vie « dans les bouchons et les aéroports ». Tous deux parle du livre audio comme une douce addiction « une fois j’avais six heures de route j’ai dévoré six heures d’écoute d’affilée », raconte Vincent. En racontant cette expérience l’homme s’anime : « Quand vous êtes de nuit sur la route, que l’obscurité vous enveloppe , que vous ne distinguez plus le paysage et qu’une voix douce vous parle, à ce moment là vous éprouvez vraiment la sensation lire dans le noir. » Ce jour là, sous la pancarte du même nom, lecteurs et auditeurs parlaient le même langage, celui de l’enthousiasme.