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Le patrimoine au bout des doigts

Sensitinéraire

L’abbaye de Cluny est la quatrième parution de cette collection tout à fait atypique, puisque c’est  » la seule collection tactile dans le domaine de l’histoire de l’art et du patrimoine », selon Clair Morizet, chef du département des éditions au Editions du Patrimoine. D’ordinaire, cette maison d’édition, qui appartient au Centre des Monuments Nationaux, expose plutôt nos chefs d’oeuvres patrimoniaux en images, en photos, mais voilà que depuis quelques années elle s’intéresse aussi à la questions de l’accessibilité.

Elle a d’abord lancé la collection Lex’Signes, pour les sourds et les malentendants, afin de leur faire  découvrir des oeuvres par la langue des signes. Et désormais, depuis 2005, il y a Sensitinéraire.L’objectif est simple : faire découvrir à un public non-voyant des monuments comme Cluny, la cité médiévale de Carcassonne, la Sainte Chapelle et le Panthéon. Pour cela, les Editions du Patrimoine se sont aidées de deux associations très connues par les non-voyants:  l’association Valentin Haüyet le Groupement des Intellectuels Aveugles ou Amblyopes(plus connu sous le nom de GIAA). 

Un ouvrage intégralement conçu pour les non-voyants

Passons à l’ouvrage. L’objet en soi est de fort belle facture. La maquette est belle, l’ouvrage est grand, avec un étonnant cahier à spirale (« Les non-voyants ont besoin de poser le livre bien à plat afin de pouvoir mieux palper les pages », explique Clair Morizet). Le livre contient une variété de formats : des planches en relief (une trentaine), décrivant les plus infimes détails de ces oeuvres millénaires, et foliotées en Braille; un CD audio  en format Daisy, décrivant ce que l’on touche sur les planches  et assorti de morceaux de musique ; un manuel en caractères agrandis pour les mal-voyants ; ainsi qu’un manuel en caractères de taille classique, pour que les accompagnateurs voyants puissent décrire à l’oral ce que le non-voyant touche. Bref, absolument tout a été pensé pour les non-voyants, puisque les livres ont été élaborés par des spécialistes de la déficience visuelle. Hoëlle Corvest, chargée de l’accessibilité à la Cité des sciences et de l’Industrie, s’est occupée de chaque ouvrage de la collection. 

Un coût de production faramineux 

On s’étonne de la précision de chaque détail, de la qualité des planches, de leur solidité. « Ce papier est magnifique, et il peut restituer sous les doigts jusqu’à sept niveaux de relief différents », détaille Clair Morizet, intarissable sur les conditions de fabrication d’un livre aussi singulier. Il faut donc un papier capable de supporter un tel gaufrage. Les Editions du Patrimoine vont le chercher jusqu’au Japon,  car il y est de superbe qualité (il y a même des petits déchets de cuir, ce qui le rend très doux au toucher), et pour le moulage, ils font appel à une société basée à Paris qui réalise d’ordinaire des cartonnages pour les grands parfumeurs, « avec davantage de moyens que nous », sourit Clair Morizet. Chaque planche est moulée et réalisée une à une. Tout cela prend donc du temps : il faut de 2 à 3 ans pour produire un ouvrage. Un travail artisanal, qui engendre des coûts de production faramineux. « Nous produisons à perte, explique Clair Morizet. Nos livres coûtent 35 euros pièce. Certes, nous avons quelques mécènes (comme la Fondation Orange), mais même avec les mécènes, pour rentrer dans nos frais il faudrait les vendre à 60 euros ». Pourquoi un tel choix ? « Cela fait partie de notre mission de service public. Et puis les livres commencent à bien se vendre. Nous réimprimons actuellement le premier de la collection, celui sur la Sainte Chapelle ».

Des « voyants » intrigués

Il semble que ces livres hors-normes ne réjouissent pas que les aveugles. « Au Salon du livre, je voyais beaucoup de gens,  pas du tout aveugles, qui semblaient très heureux de palper et de toucher ces livres. J’avais posé le dernier, celui sur Cluny, sur un lutrin, et je les voyais le toucher avec intérêt. Après tout, les livres d’art tactiles proposent une nouvelle façon, très sensuelle, d’aborder des oeuvres. Un passionné d’art et d’architecture peut donc s’y intéresser ». D’ailleurs, le magazine Télérama vient de faire la recension de leur dernier ouvrage, celui sur Cluny, en précisant que « l’ouvrage a de quoi séduire même ceux qui voient normalement ». 

Tout cela est donc long à produire, et compliqué à réaliser, mais l’initiative semble porter ses fruits. Il s’agit donc désormais de continuer d’enrichir la collection. Leur prochain projet vient à peine de voir le jour. Vu le temps nécessaire pour réaliser chaque ouvrage, il ne sera pas publié avant 2013 : il s’agit du Château d’Angers, plus précisément son Apocalypse , la plus grande tapisserie médiévale. « Il y a un enjeu particulier car c’est une tapisserie… Se pose alors la question du rendu des couleurs… Parce lorsque vous êtes devant cette tapisserie extraordinaire, vous vous en prenez plein les yeux. Comment traduire cela pour des non-voyants ? On nous a dit qu’il était possible pour un aveugle de déterminer,  grâce au toucher de certaines matières, si sa couleur est chaude, ou bien froide. Je trouve cela extraordinaire ! Je ne sais pas si nous y arriverons. Mais nous allons essayer en tout cas ». 

La collection Sensitinéraire sur le site du Centre des Monuments Nationaux (possibilité d’achat)

Le site du Centre des Monuments Nationaux, adapté aux non-voyants

 

 


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