Lecture dans le noir au festival VOX
Le 16 juin Lire dans le noir organisait une lecture dans le noir à Montreuil dans le cadre du festival VOX . Récit de cette matinée où j’ai fait l’expérience du noir complet tout en ayant le plaisir de découvrir des oeuvres dites par Elodie Uber et Olivier Brunhes.
Samedi 16 juin 11h du matin, une petite centaine d’amoureux de la littérature et du risque se retrouvent au cinéma le Méliès pour une lecture dans le noir qui lance les festivités du second jour du festival VOX.
Le public s’installe en murmurant. Parmi eux se trouve Dominique Voynet. La maire de Montreuil me confie qu’elle porte une grande importance à la transmission orale de la littérature notamment dans le cadre de la relation parent/enfant. Aurélie Kieffer, Présidente de Lire dans le noir, rassure les phobiques : une personne munie d’une lampe de poche pourra les aider à sortir de la salle en cas de panique. Elle explique que le programme de la lecture restera secret afin de conserver un effet de surprise. Mais avant le noir total est projeté un court documentaire sur Julien Prunet , dont la disparition il y a tout juste dix ans a motivé la création de Lire dans le noir. C’est la première fois que je vois ce document très émouvant. En cinq minutes, il retrace le parcours de ce journaliste non-voyant qui a choisi de vivre pleinement ses passions du journalisme à l’aviation.
Autant dire que tous mes sens sont en éveil quand la salle du Méliès est plongée dans l’obscurité la plus profonde. Une vague angoisse m’envahit et j’essaye de mettre en pratique les conseils de respiration que j’ai reçu lors de mes cours de yoga. Je ne suis pas la seule à être déstabilisée, à la fin de la lecture Sylvie, une autre spectatrice, m’avouera : « Je voulais faire l’expérience du noir total. Au départ, j’ai eu deux ou trois minutes de panique. J’ai fermé les yeux parce que cela me faisait moins peur et j’ai mis la main dans mon sac pour sentir mon portable que je pouvais allumer. Puis je me suis détendue et je me suis laissée porter par l’histoire. J’ai passé brillamment l’épreuve du noir. ». En effet, quand la voix rassurante d’Élodie Huber retentit finalement, je m’y raccroche comme à une bouée de sauvetage.
C’est la Postface au Dahlia Noir qui emplit tout l’espace. Cette plongée dans l’univers créatif et intime de James Ellroy captive et fait naître de la tendresse pour cet auteur pas toujours sympathique. Pour lire ce texte, Élodie Huber qui a lu le Dahlia noir pour les éditions Thélème est dans une autre pièce à la lumière. Plus tard, elle m’expliquera la genèse de cette œuvre :
» La Postface au Dahlia Noir est un peu un retour de James Ellroy sur son œuvre, sur le livre et sur le film pour ne plus jamais avoir à en parler après. Il décortique l’influence sur son écriture des figures mythiques qu’ont été sa mère et d’Elisabeth Short qui ont toutes deux été assassinées à 11 ans d’intervalle. Deux femmes qu’il a associé en grandissant. Dans ce texte, il explique quelle a été la puissance de leur influence sur son écriture et sur sa vie. C’est un constat très courageux, une œuvre en soi mais aussi une clé d’entrée dans ses textes. «
Le texte se termine et une voix surgit juste à côté de moi. C’est Olivier Brunhes qui déclame du Rimbaud . Le public n’a pas été prévenu de cette intrusion. Les fauteuils du cinéma grincent trahissant la surprise des spectateurs. Rimbaud subjugue.
Puis Elodie Huber nous conte l’histoire d’un garnement qui essaye de rater l’école. Ce garnement c’est Tom Sawyer. L’extrait est vif, drôle et très imagé. Il évoque des souvenirs d’enfance. Mais à peine le temps de quitter la moiteur du sud des États Unis qu’Olivier Brunhes nous surprend avec la Prière aux vivants de Charlotte Delbo . Un poème très court récité en un souffle. Mes sens m’indiquent qu’Olivier s’est déplacé.
Elodie Huber prend ensuite le relais avec un texte de Craig Davidson tiré du recueil de nouvelles Un goût de rouille et d’os. Au sujet de cette alternance entre la lecture et le récité Ralph, un spectateur lui même conteur, dira plus tard :
» C’est la deuxième fois que j’assiste à une lecture dans le noir mais la première avec cette alternance du mode de récit. J’ai senti une nuance entre le lu et le dit par cœur. Avec un texte lu je ressens plus la présence de l’auteur. La lectrice est une passeuse de l’écrit. Le texte dit par cœur est, pour moi, plus proche de l’oralité. «
Sylvie ne l’a pas entendu de cette oreille. » J’ai beaucoup aimé l’expérience de la voix amplifié par le micro que je trouve plus enveloppante et toute en nuance. Cette expérience change le rapport au livre puisque l’objet est absent mais aussi que vous n’êtes plus maître du rythme de la lecture. Les pensées que le texte évoque en sont changées. La médiation par la voix joue un rôle important. On peut aimer ou pas les réactions qu’elle provoque. «
Craig Davidson nous décrit l’histoire d’un drame. La glace d’un lac gelé engloutit un enfant et son oncle boxeur se bat pour le sauver pendant ce qui semble durer une éternité. Je suis clouée à mon siège le souffle court dans l’attente du dénouement. L’obscurité se fait plus présente un peu comme la glace qui se referme sur le petit. A peine le temps de reprendre mon souffle qu’Olivier Brunhes récite une œuvre bondissante écrite il y a quelques années avec un ami. On sens une tendresse particulière pour ce texte quand il confie : « C’est un peu mon tube et je peux le dire par cœur quelle que soit les circonstances et le lieu ! « . Les dernières phrases de ce texte raisonnent comme un hymne à la vie.
La salle du cinéma retrouve progressivement la lumière pour épargner nos yeux qui n’y sont plus habitués. Aurélie Kieffer, les diseurs et les spectateurs échangent leurs sentiments sur ce qu’ils viennent de vivre. Olivier revient sur sa performance. » C’est très angoissant de se déplacer dans le noir. J’ai beaucoup pensé à Julien et au quotidien des personnes qui ne voient pas. Je me suis dit : » Est ce que je vais tomber ? Est ce que je vais attraper les cheveux d’une spectatrice ? Est ce que je vais me casser la jambe ? » Mais finalement tout s’est bien passé. Il y avait, bien entendu, la difficulté de la mémorisation, une véritable double peine car, en plus d’éviter de se casser la jambe, il faut se souvenir de la phrase par laquelle débute le texte ! » Une spectatrice regrette que les textes choisis soient majoritairement anglo-saxons quand un spectateur témoigne : » J’ai aimé les textes et leur complémentarité ; leur texture et l’imagerie qu’ils invoquaient. A certains moments, j’étais captivé par une phrase bien ciselée, à d’autres des images me venaient. «
Sur le chemin pour retrouver le buffet organisé par le festival VOX, Élodie Huber me confie » C’est une expérience étonnante de lire dans une salle isolée. Quand on est dans le même espace on ressent la pulsation du public. Aujourd’hui, je n’avais aucun retour. L’expérience s’apparente un peu à celle de la radio, sauf qu’à la radio il y a toujours des personnes présentent qui symbolisent l’ensemble des auditeurs. J’avais peur de lire trop vite. Du coup, cette lecture avait un côté excitant et pour moi inédit. C’est assez génial. Je n’avais pas de parachute mais Olivier, lui, était carrément en chute libre. Pour dire par cœur dans le noir de la poésie tout en étant privé d’un de ses sens, il ne faut pas être trop impressionné et avoir la mémoire vive. »
Diseurs et spectateurs, tous ensemble nous avons brillamment passé l’épreuve du noir.
Pauline Briand