Lecture dans le noir des 50 ans de France Culture
Pour ses 50 ans France Culture a investi le Palais de Tokyo à Paris, trois jours d’émissions en direct, de concerts, de rencontres, de souvenirs évoqués et de surprises. Lire dans le noir, qui depuis son origine entretient un rapport privilégié avec Radio France, a participé aux festivités en proposant une lecture dans le noir autour de l’œuvre de Laurent Gaudé, le parrain du Prix Lire dans le noir 2013. Une centaine de spectateurs s’est laissée porter par la voix de l’auteur et de la comédienne Christine Braconnier. Nous revenons sur cette belle rencontre, et vous proposons d’écouter cette lecture comme si vous y étiez !
Rendez-vous était pris le vendredi 6 septembre à 18h30 salle 37 du Palais de Tokyo. Traverser les immenses salles en béton brut transformées pour quelques jours en mémoire vivante de France Culture prépare le spectateur à laisser dériver son imagination. C’est prêt à voyager que l’on se voit attribuer un casque audio et un masque qui permettra de faire le noir complet.
La grande salle où se tient la lecture accueille une centaine de spectateurs. Jean-Charles de Castelbajac a tracé un angelot à la craie sur l’un de ces murs, un auspice bienveillant. Le public est invité à s’asseoir sur la moquette vert clair et à chausser son masque. Le noir fait, la journaliste Sophie Massieu introduit la lecture en quelques phrases et présente l’action de Lire dans le noir.
S’élève alors la voix puissante et claire de Christine Braconnier . Elle lit La porte des enfers le récit d’un deuil baigné par le soleil de l’Italie du sud. Plus tard, l’actrice dira « Avec les textes de Laurent Gaudé , on est dans la chair, dans l’intime. On a envie de suivre ces personnages avec lesquels on est sur le fil. C’est le cas de Giuliana et Matteo pour La porte des enfers. L’histoire d’un deuil, mais surtout de l’envie qui les anime d’aller au bout de leur obsession. En lisant ce texte j’ai éprouvé une sensation de plénitude. »
Nous avons à peine eu le temps de nous séparer de Giuliana et Matteo que Laurent Gaudé lit deux poèmes ramenés d’un séjour à Port-au-Prince la capitale d’Haïti . Dans ces textes poignants, il dépeint une ville tiraillée entre la vie qui continue et les séquelles du séisme. Interrogé sur ces textes Laurent Gaudé expliquera avec beaucoup d’émotion « Je suis allé à Haïti en janvier dernier, trois ans après le tremblement de terre. Avec un ami photographe, nous souhaitions voir comment le pays commémorait cette douleur. On a été surpris de voir que le jour anniversaire du séisme, alors que dans certains endroits de la ville on se remémorait le désastre, il y avait aussi la destruction du camp de réfugiés de la place Sainte Anne.
Haïti est à un moment de transition. Les gens frappés par le séisme sont encore totalement immergés dans la douleur. Ils vivent dans des conditions inimaginables dans des camps de réfugiés qui se trouvent dans Port-au-Prince sur les places et les terrains vagues. Mais le pouvoir en place souhaite se défaire de cette image et que les investisseurs reviennent en Haïti. Il dégage avec une brutalité monstrueuse ces camps de réfugiés. Les traces de l’occupation sont effacées à une vitesse affolante, dés le lendemain la place était presque propre. Il faut savoir que rien n’est prévu pour accueillir les expulsés. Je crois profondément qu’une des fonctions de l’écriture c’est ce rêve de pouvoir faire la lumière sur des gens oubliés, ramener à la mémoire des gens que l’Histoire a avalés. »
Le prochain texte nous mène en Inde, Médée Kali fait la jonction entre deux mythes féminins venus de deux continents. Christine Braconnier conte l’histoire d’une jeune fille qui par sa force changera l’histoire. Lors des échanges avec le public Laurent Gaudé dira de ce texte « Médée Kali est un texte que j’ai écrit il y a longtemps or l’on aurait pu croire que c’était presque la petite enfant de quatre jours du poème précédent qui avait grandie.
Travailler sur Médée c’est travailler sur un mythe qui a été énormément traité. Pour moi l’enjeu c’était de trouver un axe qui me permette d’être sur mes propres terres. Evoquer Kali, c’était repartir de l’idée inscrite dans le mythe que Médée est une étrangère, et la pousser à l’extrême la faire venir de plus loin que la Turquie ou la Cappadoce. »
Médée Kali pose son regard sur Jason, puis les lumières se rallument dans la salle 37. Laurent Gaudé et Christine Braconnier rentrent dans la salle encore silencieuse pour quelques instants puis viennent les applaudissements. Interrogé par Sophie Massieu, Laurent Gaudé explique le choix des textes qui ont été présentés. « J’ai eu envie de proposer un voyage dans des réalités géographiques et des formes d’écritures différentes puisque l’on passe de Naples, à Haïti, puis l’Inde, et du roman, au poème, au théâtre. En ce qui me concerne, c’est un seul et même fleuve de création. Par ces choix, je tenais à le souligner. Je ne nie pas les différences de genre, mais en amont, en tant qu’auteur, je mets autant de moi dans chacune de ces formes d’expression. Ces textes s’influencent les uns les autres. C’est un tout. » Sophie Massieu lui demande quels sont les territoires qu’il aime explorer « Mes terres c’est un continent fait de la tragédie, de l’épique, et de l’homme au sens humaniste du terme. » Il ajoute « La lecture dans le noir est une expérience particulière, il y a une acuité, une concentration plus grande et des connexions plus radicales avec le texte du fait d’être juste tout entier avec la voix. C’est un peu le fantasme de l’auteur. »
Une spectatrice renchérit « J’ai lu Le soleil des Scorta en étant une fille du sud exilée dans les brumes bretonnes, ça m’a fait beaucoup de bien parce qu’à l’époque j’ai pu vraiment me plonger dans les lieux que vous évoquiez. Aujourd’hui, alors que la lecture était plus courte et que l’on ne pouvait pas avoir la narration de toute une vie sous le soleil, écouter dans le noir m’a donné le sentiment d’être plus présente aux lieux et au moment que vous décriviez. » La force du récit est aussi saluée par Christine Braconnier « On est tout de suite plongé dans l’histoire. J’avais très envie de porter les personnages créés par Laurent Gaudé. En lisant ces textes j’avais l’impression de lancer des flèches vers les auditeurs parce que les situations sont très concrètes et claires. Il n’y a qu’à dire, ressentir et laisser faire. » Elle revient sur cette première lecture dans le noir « On est directement dans l’imaginaire du spectateur. J’ai eu beaucoup de plaisir à me prêter à ce jeu. »
Il est alors temps de laisser la salle 37, qui va se transformer en studio radio. A la sortie Caroline, qui est accompagnée par son chien, revient sur cette lecture dans le noir « La lecture m’a beaucoup plu. Je lis beaucoup à l’audio, pour autant ça n’est pas du tout la même ambiance que quand on lit chez soi. Je comprends mieux pourquoi les gens aiment les lectures dans le noir, c’est qu’ils aiment les lectures tout court. C’est une autre atmosphère. Pour quelqu’un qui voit le fait d’être dans le noir joue peut être mais, à mon avis, pas tant que ça. Parce que moi pour qui ce n’est censé rien changer, j’ai beaucoup apprécié cette lecture. »
Pauline Briand
Bonus :Interview de Laurent Gaudé sur la lecture dans le noir par un journaliste de France Culture
> Découvrir l’interview de Laurent Gaudé par Aurélie Kieffer
> Fiche de lecture : Le soleil des Scorta
Les invités :
Laurent Gaudé, a fait des études de lettres modernes et une thése sur le théâtre. Il publie sa première pièce Onysos le furieux en 1997 au théâtre ouvert. Ce premier texte est monté en 2000 au théâtre national de Strasbourg dans une mise en scène de Yannis Kokkos. Suivront alors des années consacrées à l’écriture théâtrale.
Son premier roman, Cris, paraît en 2001. Avec La mort du roi Tsongor, il obtient en 2002 le Prix Goncourt des Lycéens, le Prix des Libraire… En 2004, il est lauréat du Prix Goncourt pour Le soleil des Scorta. Romancier et dramaturge, il est également l’auteur de deux recueils de nouvelles. Six de ses ouvrages sont publiés en livre audio aux éditions Thélème dont son dernier roman Pour seul cortège. Lauréat du Prix Lire dans le noir 2012 pour La mort du roi Tsongor, il est le parrain du Prix 2013.
Formée au Conservatoire National de Montpellier, Christine Braconnier rencontre assez rapidement Philippe Adrien avec qui elle jouera trois créations ; l’Enfant rêve d’Hanoch Levine, Yvonne, princesse de Bourgogne de Witold Gombrovicz et Andromaque (dans le rôle d’Hermione) au Théâtre de la Tempête. Elle travaille aussi avec Yvan Blanloeil, dans une adaptation de Dracula, Sophie Akrich dans Le Gardeur de silence de Fabrice Melquiot, et bien d’autres. Elle enregistre des fictions pour France Culture et France Inter avec Laure Égoroff, Juliette Heyman et Cédric Aussir. Elle continue d’apprendre auprès d’Hans Peter Cloos et Joel Pommerat.