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La collection Chut ! une expérience de l’harmonie

Nous avons rencontré Véronique Haïtse éditrice de la collection de livre audio Chut ! chez l’École des loisirs, qui propose une approche à la fois originale et exigeante de l’habillage sonore. Musiciens et lecteurs travaillent de concert dans un même studio. Pour la musique une large place est laissée à l’improvisation. Véronique Haïste a invité Pauline Briand à assister à la création du livre audio La tente de Claude Ponti, la première pièce de théâtre adaptée pour la collection. Retour sur cet après-midi passé en studio.

La tente de Claude PontiC’est au studio La Muse en Circuit à Alfortville que j’ai retrouvé Véronique Haïtse. Elle me présente la démarche qui a abouti à la création de Chut ! : « Pour moi, dans le goût de la lecture, il y a avant tout le goût de l’histoire.  Avec l’écoute le jeune lecteur rentre dans la langue de manière plus simple que par la lecture. Il assimile les clés qui lui permettent de comprendre un récit. »

Le studio est immense. Un coin a était aménagé pour les deux comédiens, Céline Milliat-Baumgartner et Marc Fayet, qui sont cernés de micros de toutes tailles. Sur une table adjacente se trouvent un grand nombre de bols de métal, une cloche, un appeau à hibou, des galets, des noix et tout un tas d’objets qui ressemblent bien peu à des instruments. C’est là que se tiendra Thierry Balasse, ingénieur du son, musicien et co-directeur artistique de Chut !.  Le guitariste, Eric Lohrer, est venu avec une sélection d’instruments à cordes : guitares, ukulélé, charango… L’ingénieur du son, Benoit Meurant, et son stagiaire sont aussi présents derrières leurs écrans. Cette pièce est un peu le royaume de Thierry Balasse dont le travail a été déterminant dans l’approche donnée à la musique pour Chut !.

Il explique : « Il n’y a pas vraiment d’obligation technique pour enregistrer un livre audio, mais avec Véronique Haïtse nous avons fait des choix d’enregistrement assez spécifiques. Tout le monde est dans la même pièce. Pour moi cela permet une communication directe qui confère une qualité particulière à l’enregistrement. L’autre spécificité tient au fait d’enregistrer les parties sonore et musicale du livre en même temps que le texte. Une vraie interaction s’instaure entre les musiciens et les comédiens. Je ne vous cache pas que techniquement c’est compliqué à gérer, mais je préfère privilégier le résultat artistique. La technique s’y adapte. » Cette unité de temps et de lieu permet des moments de grâce, Véronique Haïtse se souvient : « Sur Mon petit cœur imbécile, un récit qui se déroule en Afrique, la lectrice devait chanter. Quand est arrivé ce passage, on avait l’impression qu’elle était africaine. La musique et l’énergie partagée donnent des moments tels que celui-là. »

Thierry Balasse Pour Véronique Haïste la musique a un rôle primordial à jouer dans l’adaptation des livres : « Chez nous les textes pour les plus petits sont illustrés, parfois la simple lecture du texte n’est donc pas suffisante pour la compréhension. La musique reprend le rôle de l’illustration. Elle donne l’ambiance et le contexte. Elle peut créer la tension ou la drôlerie.  La musique est là pour mettre l’accent sur certaines articulations du texte, mais pas seulement. Quand je choisis un illustrateur, j’attends de lui qu’il apporte son univers à celui de l’auteur. C’est la rencontre de deux imaginaires qui s’enrichissent  . Je souhaitais retrouver la même chose avec la musique. »  L’objectif n’est pas ici de tout dire, de tout illustrer. Elle ajoute « Au départ, notre envie c’était d’avoir un grand respect du texte. Le comédien met une intention dans la lecture mais de la place doit être laissée pour l’implicite, et la subjectivité de l’auditeur doit pouvoir s’exprimer. L’habillage sonore est là pour enrichir la lecture sans contraindre l’auditeur. »

C’est l’expérience accumulée au fur et à mesure des livres qui a permis de trouver l’équilibre entre le texte et l’habillage sonore. Thierry Balasse constate « Il y a cette question de l’équilibre entre la voix et la musique, mais aussi à quel point on demande au comédien de jouer ou pas. Finalement la règle absolue dans cette collection, c’est qu’il n’y a pas de règle. » Durant l’enregistrement, c’est principalement lui qui assure cet équilibre, indiquant par petites touches la nuance à obtenir, ajustant la dynamique entre la musique et le texte entre chaque prise. Au-delà du texte apparaît une œuvre nouvelle et collective.

Céline Milliat-BaumgartnerCe jour là, c’est la première fois que Chut ! adapte une pièce de théâtre, La tente de Claude Ponti . Véronique Haïste explique ce choix « Je trouve que le texte de Claude Ponti se prête parfaitement à cette adaptation. Cette idée simple de deux enfants sous une tente la nuit qui se confrontent à leurs peurs illustre bien l’univers de cet auteur emblématique pour notre maison. Dans cette histoire l’imaginaire lié au son revêt une grande importance. Dans un temps assez court le texte propose de visiter des registres très variés, de la peur à une grande partie de rigolade.  Ce texte, tout en étant très riche, nous permet aussi de limiter nos contraintes techniques à deux acteurs, et une unité de temps et de lieu. »

Pour le théâtre, l’approche de Thierry a du s’adapter. « Sur cet enregistrement mon travail se trouve à mi-chemin entre le bruitage et  la musique. La préparation a principalement consisté  à déterminer le rôle dramaturgique à allouer à la musique. Seul le dialogue est lu, il était hors de question de dire les didascalies. On ne prolonge pas le livre, on l’adapte. La musique est un élément de la mise en scène, ne serait-ce que parce qu’il y a des indications visuelles qui ne sont pas faciles à rendre en disque. »

Dans le studio, l’atmosphère de travail était à la fois studieuse et détendue. Les aléas de l’enregistrement, plantage informatique, mots volés, bafouillages, sont absorbés par la bonne humeur et le plaisir de travailler ensemble.

Chaque scène est lue une première fois  par les acteurs sans accompagnement. Puis les musiciens rentrent dans la danse.

Eric Lohrer Une plage musicale teinte le début de chaque scène puis un hululement de chouette signifie aux acteurs qu’ils peuvent se lancer dans la lecture. Eric Lohrer gratte les cordes de son banjo, tout en lançant de longues notes sur une guitare posée à ses côtés. Quand Thierry Balasse reproduit les grincements de l’hypothétique monstre en faisant tourner des noix dans sa main. L’interprétation des comédiens s’étoffe, même leurs silences sont habités. En écoutant le récit prendre de l’ampleur, je reconnais que Thierry Balasse avait raison quand il me disait un peu plus tôt : « La musique permet de border le récit. Elle autorise le lecteur à aller au delà de sa retenue sans pour autant en faire trop. Elle instaure une dynamique sur laquelle le lecteur peut se reposer »

Entre chaque prise, les options de mise en scène sont discutées. « La petite fille a-t-elle peur où est-elle en train de taquiner le petit garçon ? Doit on laisser une pause pour que les bruits nocturnes puissent s’exprimer ? » Eric Lohrer accorde sa guitare ou change d’instrument. Il m’explique qu’il tache d’arriver avec les instruments qui vont lui donner une palette assez large au niveau des timbres et des palettes expressives. Thierry Balasse tente de remplacer les noix par des galets.

Au fil des scènes, la musique s’adapte au récit. Elle devient bruitiste quand la peur fait son entrée, puis s’apaise en de longues nappes quand la tension disparaît pour faire place au jeu. Véronique Haïtse explique l’alchimie recherchée « Dans notre enfance, on a tous vécu une situation assez similaire à celle de La tente. On a voulu dormir dans le jardin et au final on a testé notre peur parce que dans la nuit le moindre bruit prend une autre dimension. Les sons qui sont enregistrés là maintenant laissent une grande part à l’imaginaire. Ils feront peur à certains et pas à d’autres. Nous ne souhaitons pas indiquer une voix unique. L’implicite et l’expérience de chacun doivent avoir  leur place dans l’écoute. »

Marc FayetUne harmonie espiègle règne dans le studio, le fruit de l’expérience accumulée durant les enregistrements précédents et du plaisir de créer ensemble. Cette apparente facilité est pourtant le fruit du travail exigeant de Thierry. « Je prépare pas mal avant. Quand j’arrive en studio, je sais de quelle façon la musique va être utilisée, il faut que je sois au clair là dessus. Je ne demande pas toujours aux comédiens et aux musiciens de se préparer cela dépend des ouvrages. Mais pour aujourd’hui j’avais fait parvenir le texte aux acteurs et au musicien longtemps à l’avance pour qu’ils aient le temps de l’apprivoiser. Le choix de travailler avec des musiciens improvisateurs est délibéré. Il offre la possibilité d’adapter la musique à l’émotion qui passe lors de l’enregistrement.»

La scène se termine, la dernière note lancée sur la guitare s’éteint, la concentration se relâche. Véronique me dit « Depuis les quatre derniers livres, je pense que nous avons passé un cap : nous sommes habitués à travailler ensemble et nous connaissons les goûts de chacun. Il y a encore trois ans, il aurait été inconcevable d’enregistrer une pièce de théâtre comme La tente. On aurait passé trop de temps à trouver le bon équilibre entre le texte et la musique. À chaque séance d’enregistrement, on apprend, et surtout, comme le futur audio-lecteur, on se régale à écouter une nouvelle histoire.  »

Pauline Briand

 
> Visiter le site internet de Chut ! et écouter des extraits
> Fiche de lecture de Mon petit coeur imbécile

 
 


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